EL MUNDO MODERNO
Llevo mucho tiempo diciéndolo. Hay un mundo moderno. Ese mundo moderno ha creado condiciones tales para la humanidad, tan completa y absolutamente nuevas, que todo lo que sabemos gracias a la historia, todo lo que hemos aprendido de las humanidades anteriores, no puede servirnos de nada, no puede hacernos avanzar en el conocimiento del mundo en que vivimos. No hay precedentes. Por primera vez en la historia del mundo, todos los poderes espirituales han sido expulsados, no por los poderes materiales, sino por un solo poder material, que es el poder del dinero. Y para ser justos debemos incluso decir: Por primera vez en la historia del mundo todos los poderes espirituales juntos, con un mismo impulso, y todos los otros poderes materiales juntos, con un mismo impulso que es el mismo, han sido expulsados por un solo poder material que es el poder del dinero. Por primera vez en la historia del mundo todos los poderes espirituales juntos y todos los demás poderes materiales juntos, con un único impulso y con un mismo impulso, han retrocedido sobre la faz de la tierra. Y como una gran línea han retrocedido en toda la línea. Por primera vez en la historia del mundo, el dinero es amo sin límite ni medida.
Por primera vez en la historia del mundo, el dinero está solo, frente al espíritu. (E incluso está solo frente a las otras materias).
Por primera vez en la historia del mundo el dinero está solo delante de Dios.
Ha recogido en sí mismo todo lo que era venenoso en lo temporal, y ahora el hecho está consumado. Por no se sabe qué espantosa aventura, por no se sabe qué aberración del mecanismo, por un desfasaje, por un mal funcionamiento, por un monstruoso enloquecimiento de la mecánica, lo que debería servir sólo para el intercambio ha invadido completamente el valor a intercambiar.
No hay que decir únicamente, por lo tanto, que en el mundo moderno la escala de valores se ha trastornado. Hay que decir que ha sido aniquilada, ya que el aparato de medición e intercambio y evaluación ha invadido todo el valor que él estaba destinado a medir, intercambiar, evaluar.
El instrumento se ha convertido en la materia y el objeto y el mundo.
Es un cataclismo tan nuevo, es un acontecimiento tan monstruoso, es un fenómeno tan fraudulento como si el calendario se pusiera él mismo a ser el año, el año verdadero (y esto es un poco lo que ocurre en la historia); y como si el reloj se pusiera a ser el tiempo, y el metro con sus centímetros se pusiera a ser el mundo medido; y como si el número con su aritmética se pusiera a ser el mundo contado.
De ahí proviene esta inmensa prostitución del mundo moderno. No proviene de la lujuria. No es digna de ella. Proviene del dinero. Proviene de esa universal intercambiabilidad.
Y, principalmente, de esa avaricia y de esa venalidad que, como hemos visto, eran dos casos particulares (y quizás y a menudo el mismo) de esa universal intercambiabilidad.
El mundo moderno no es universalmente prostibulario por la lujuria. Es totalmente incapaz de serlo. Es universalmente prostibulario porque es universalmente intercambiable.
No se ha procurado la bajeza y la infamia con su dinero. Pero como todo lo había reducido al dinero, resultó que todo era bajeza e infamia.
Hablaré en un lenguaje grosero. Diré: Por primera vez en la historia del mundo el dinero es el amo del cura así como es el amo del filósofo. Es el amo del pastor así como es el amo del rabino. Y es el amo del poeta así como es el amo del escultor y del pintor.
El mundo moderno ha creado una nueva situación, nova ab integro. El dinero es el amo del estadista así como es el amo del empresario. Y es el amo del magistrado así como es el amo del ciudadano común. Y es el amo del Estado así como es el amo de la escuela. Y es el amo de lo público así como es el amo de lo privado.
Y es el amo de la justicia más profundamente que cuando era el amo de la iniquidad. Y es el amo de la virtud más profundamente que cuando era el amo del vicio.
Es el amo de la moral más profundamente que cuando era el amo de las inmoralidades.
Esa universal venalidad del mundo moderno no proviene de la blandura sino, por el contrario, proviene de una rigidez que es la rigidez del dinero. Así como hemos diferenciado lo rígido de lo duro, tenemos que diferenciar lo flexible de lo blando. Así como las morales flexibles son más exactas y más severas y más exigentes que las morales rígidas, las inmoralidades rígidas son más peligrosas, y más fraudulentas, y más corruptas que las inmoralidades blandas.
Note sur M. Descartes et la philosophie cartésienne. (Extrait.)
Traducción, para Literatura & Traducciones, de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
LE MONDE MODERNE
Je l’ai dit depuis longtemps. Il y a le monde moderne. Ce monde moderne a fait à l’humanité des conditions telles, si entièrement et si absolument nouvelles, que tout ce que nous savons par l’histoire, tout ce que nous avons appris des humanités précédentes ne peut aucunement nous servir, ne peut pas nous faire avancer dans la connaissance du monde où nous vivons. Il n’y a pas de précédents. Pour la première fois dans l’histoire du monde les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. Et pour être juste il faut même dire : Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et du même mouvement et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un même mouvement qui est le même ont été refoulées par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un seul mouvement et d’un même mouvement ont reculé sur la face de la terre. Et comme une immense ligne elles ont reculé sur toute la ligne. Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est maître sans limitation ni mesure.
Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est seul, en face de l’esprit. (Et même il est seul en face des autres matières.)
Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est seul devant Dieu.
Il a ramassé en lui tout ce qu’il y avait de vénéneux dans le temporel, et à présent c’est fait. Par on ne sait quelle effrayante aventure, par on ne sait quelle aberration de mécanisme, par un décalage, par un dérèglement, par un monstrueux affolement de la mécanique ce qui ne devait servir qu’à l’échange a complètement envahi la valeur à échanger.
Il ne faut donc pas dire seulement que dans le monde moderne l’échelle des valeurs a été bouleversée. Il faut dire qu’elle a été anéantie, puisque l’appareil de mesure et d’échange et d’évaluation a envahi toute la valeur qu’il devait servir à mesurer, échanger, évaluer.
L’instrument est devenu la matière et l’objet et le monde.
C’est un cataclysme aussi nouveau, c’est un événement aussi monstrueux, c’est un phénomène aussi frauduleux que si le calendrier se mettait à être l’année elle- même, l’année réelle, (et c’est bien un peu ce qui arrive dans l’histoire); et si l’horloge se mettait à être le temps et si le mètre avec ses centimètres se mettait à être le monde mesuré; et si le nombre avec son arithmétique se mettait à être le monde compté.
De là est venue cette immense prostitution du monde moderne. Elle ne vient pas de la luxure. Elle n’en est pas digne. Elle vient de l’argent. Elle vient de cette universelle interchangeabilité.
Et notamment de cette avarice et de cette vénalité que nous avons vu qui étaient deux cas particuliers, (et peut-être et souvent le même), de cette universelle interchangeabilité.
Le monde moderne n’est pas universellement prostitutionnel par luxure. Il en est bien incapable. Il est universellement prostitutionnel parce qu’il est universellement interchangeable.
Il ne s’est pas procuré de la bassesse et de la turpitude avec son argent. Mais parce qu’il avait tout réduit en argent, il s’est trouvé que tout était bassesse et turpitude.
Je parlerai un langage grossier. Je dirai : Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est le maître du curé comme il est le maître du philosophe. Il est le maître du pasteur comme il est le maître du rabbin. Et il est le maître du poète comme il est le maître du statuaire et du peintre.
Le monde moderne a créé une situation nouvelle, nova ab integro. L’argent est le maître de l’homme d’État comme il est le maître de l’homme d’affaires. Et il est le maître du magistrat comme il est le maître du simple citoyen. Et il est le maître de l’État comme il est le maître de l’école. Et il est le maître du public comme il est le maître du privé.
Et il est le maître de la justice plus profondément qu’il n’était le maître de l’iniquité. Et il est le maître de la vertu plus profondément qu’il n’était le maître du vice.
Il est le maître de la morale plus profondément qu’il n’était le maître des immoralités.
Cette universelle vénalité du monde moderne ne vient pas de mollesse mais au contraire elle vient d’une raideur qui est la raideur de l’argent. De même que nous avons déclassé le raide du dur, de même il faut déclasser le souple du mou. De même que les morales souples sont plus exactes et plus sévères et plus astreignantes que les morales raides, de même les immoralités raides sont plus dangereuses, et plus frauduleuses, et plus véreuses que les immoralités molles.