domingo, 25 de junio de 2017

Alphonse de Lamartine y Miguel Antonio Caro: El lago

EL LAGO

¿Y en afán incesante, el rumbo incierto,
Hacia otra, y otra, más lejana orilla,
Rodando iremos sobre el mar desierto,
Sin que un instante en apacible puerto
 Repose nuestra quilla?

¡Oh lago, un año se ha cumplido apenas;
Y heme aquí solitario! ¡Sus pisadas
No volverá a estampar en tus arenas
La que desde esta roca, ayer, serenas
 Fijó en ti sus miradas!

Y así cual ora, entonces resonabas;
Mugiendo estás como en aquellos días,
Contra estas peñas tu furor desbravas,
Y con la blanca espuma el musgo lavas
 Donde sus pies lamías.

Era una tarde. En éxtasis supremo
Íbamos ella y yo bogando a solas,
Y bajo el cielo azul, de extremo a extremo,
Más no se oía que el batir del remo
 Sobre las blandas olas.

Y al piélago dormido, al mudo viento
Cautivó de repente voz divina;
Jamás hombre soñó tan dulce acento
Como el que oyó arrobada en tal momento
 La esfera cristalina:

 Suspende el ala rápida,
 No turbes nuestros éxtasis,
  ¡Oh tiempo volador!
 Gozar por siempre déjanos
 Estos instantes mágicos
  Que aquí nos brinda amor.

 ¿Cuántos no piden míseros
 De la esperanza el bálsamo
  A tu correr fugaz?
 Ve, y sus dolores íntimos
 Alivia tú benéfico;
  ¡Deja al dichoso en paz!

 Mas ¡ay! con vana súplica
 Ruego a esta noche plácida
  Que lento mueva el pie.
 Rueda muda la bóveda,
 Y en el oriente pálido
  Odioso albor se ve.

 Todo, todo es efímero;
 Veloces precipítanse
  Las horas, ¡ay de mí!
 ¡Mas entre tanto, amémonos,
 En el oasis místico
  Que amor nos brinda aquí!

 ¡Ay! en tanto que el mal acerbo dura,
El tiempo, que a su vista se adormece,
A robarnos la dicha se apresura;
Y el momento que encierra más dulzura,
 Huye y desaparece.

 ¿Y nunca ha de volver lo que ha pasado?
¿Aquello que se fue quedó perdido,
Y para siempre lo sepulta el hado
En mudo seno, en insondable vado,
 En sempiterno olvido?

 ¿Y ni aun habremos de guardar sus huellas?
¿A do van las delicias que devoras,
Qué haces, profunda Eternidad, de aquellas
Que descendieron a tu abismo, bellas
 Y fugitivas horas?

 ¡Oh lago! ¡grutas! ¡rocas! ¡selva umbría!
Pues os perdona el tiempo, o la primera
Beldad os restituye, la hermosura
De esa noche guardad. ¡Salva, oh Natura,
 Su recuerdo siquiera!

 ¡Perenne viva aquel recuerdo, oh lago,
En tu recinto; en las suaves frondas
Que te circundan con riente halago;
En estas rocas que con torvo amago
 Penden sobre tus ondas!

 ¡Viva en los ecos que de orilla a orilla
Responden; en el céfiro que vuela
Y hojosa copa susurrante humilla;
En la alba luna que en el éter brilla
 Y en tu cristal rïela!

 ¡Y el fresco aroma que tu ambiente espira,
Tu oleaje, adormido o resonante,
Cuanto aquí se oye, cuanto aquí se admira,
Todo a la vez, cual misteriosa lira,
 Mi amor recuerde y cante!




LE LAC

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?

Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :

" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.

" Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.

" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! "

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !