miércoles, 7 de junio de 2017

Stéphane Mallarmé y Federico Gorbea: El Mal Sino

 
LE GUIGNON

Au-dessus du bétail ahuri des humains
Bondissaient en clartés les sauvages crinières
Des mendieurs d'azur le pied dans nos chemins.

Un noir vent sur leur marche éployé pour bannières
La flagellait de froid tel jusque dans la chair,
Qu'il y creusait aussi d'irritables ornières.

Toujours avec l'espoir de rencontrer la mer,
Ils voyageaient sans pain, sans bâtons et sans urnes,
Mordant au citron d'or de l'idéal amer.

La plupart râla dans les défilés nocturnes,
S'enivrant du bonheur de voir couler son sang,
Ô Mort le seul baiser aux bouches taciturnes !

Leur défaite, c'est par un ange très puissant
Debout à l'horizon dans le nu de son glaive :
Une pourpre se caille au sein reconnaissant.

Ils tètent la douleur comme ils tétaient le rêve
Et quand ils vont rythmant des pleurs voluptueux
Le peuple s'agenouille et leur mère se lève.

Ceux-là sont consolés, sûrs et majestueux ;
Mais traînent à leurs pas cent frères qu'on bafoue,
Dérisoires martyrs de hasards tortueux.

Le sel pareil des pleurs ronge leur douce joue,
Ils mangent de la cendre avec le même amour,
Mais vulgaire ou bouffon le destin qui les roue.

Ils pouvaient exciter aussi comme un tambour
La servile pitié des races à voix ternes,
Egaux de Prométhée à qui manque un vautour !

Non, vils et fréquentant les déserts sans citerne,
Ils courent sous le fouet d'un monarque rageur,
Le Guignon, dont le rire inouï les prosterne.

Amants, il saute en croupe à trois, le partageur !
Puis le torrent franchi, vous plonge en une mare
Et laisse un bloc boueux du blanc couple nageur.

Grâce à lui, si l'un souffle à son buccin bizarre,
Des enfants nous tordront en un rire obstiné
Qui, le poing à leur cul, singeront sa fanfare.

Grâce à lui, si l'une orne à point un sein fané
Par une rose qui nubile le rallume,
De la bave luira sur son bouquet damné.

Et ce squelette nain, coiffé d'un feutre à plume
Et botté, dont l'aisselle a pour poils vrais des vers,
Est pour eux l'infini de la vaste amertume.

Vexés ne vont-ils pas provoquer le pervers,
Leur rapière grinçant suit le rayon de lune
Qui neige en sa carcasse et qui passe au travers.

Désolés sans l'orgueil qui sacre l'infortune,
Et tristes de venger leurs os de coups de bec,
Ils convoitent la haine, au lieu de la rancune.

Ils sont l'amusement des racleurs de rebec,
Des marmots, des putains et de la vieille engeance
Des loqueteux dansant quand le broc est à sec.

Les poètes bons pour l'aumône ou la vengeance,
Ne connaissant le mal de ces dieux effacés,
Les disent ennuyeux et sans intelligence.

« Ils peuvent fuir ayant de chaque exploit assez,
« Comme un vierge cheval écume de tempête
« Plutôt que de partir en galops cuirassés.

« Nous soûlerons d'encens le vainqueur dans la fête :
« Mais eux, pourquoi n'endosser pas, ces baladins,
« D'écarlate haillon hurlant que l'on s'arrête ! "

Quand en face tous leur ont craché les dédains,
Nuls et la barbe à mots bas priant le tonnerre,
Ces héros excédés de malaises badins

Vont ridiculement se pendre au réverbère.

EL MAL SINO

POR sobre el alelado tropel de los humanos
Brincaban —claridades— las salvajes melenas
De los que mendigan cielo en nuestras sendas.

Como estandarte llevaban un negro viento que
Desplegado azotaba con tal frío su marcha
Que en sus cuerpos abría dolorosos surcos.

Siempre con la esperanza de encontrar el mar,
Sin pan viajaban, sin cayado ni cántaro.
Mordiendo el limón dorado del amargo ideal.

Muchos agonizaron en oscuros barrancos,
Borrachos del placer de ver correr su sangre,
¡Muerte, único beso para las bocas taciturnas!

Su derrota es la obra de un ángel poderoso
De pie en el horizonte que es filo de su espada:
Un rojo intenso se cuaja en el pecho agradecido.

Ellos maman del dolor como del sueño antes
Y cuando pasan al ritmo de voluptuosos llantos,
El pueblo se arrodilla, sus madres se levantan.

Seguros y majestuosos, ésos tienen consuelo,
Pero a su paso dejan centenas de humillados:
Mártires irrisorios de tortuosos azares.

Roe sus dulces mejillas la misma sal del llanto,
Y comen la ceniza con idéntico amor,
Molidos por una suerte ridícula o vulgar.

Podían provocar cual tambor la piedad
Rastrera de los que hablan con voces apagadas,
¡Pares de Prometeo a quienes falta el buitre!

¡No! Viles y visitantes de yermos sin cisterna,
Corren bajo el látigo de un monarca iracundo: el Mal Sino,
Cuya inaudita risa los pone de rodillas.

¡Este compartidor, amantes, monta en vosotros
Y, cruzado el arroyo, os hunde en una charca:
De la blanca pareja nadadora queda un bloque de barro.

Por su causa, si alguien sopla en su raro caracol,
Niños, el puño en el culo, copiarán su clangor,
Y nos retorceremos de risa, sin parar.

Por su causa, si la urna viste un seno marchito
Con una rosa que, lo rejuvenece, baba
Es lo que ha de brillar en su maldito ramo.

Y ese esqueleto enano con sombrero emplumado
Y botas, con gusanos, no pelos, en la axila,
Es para ellos lo inmenso de la vasta amargura.

Vejados, ¿no van acaso a retar al perverso?
Su estoque rechinante sigue al rayo de luna
Que nieva en su osamenta y la traspasa luego.

Desolados, sin ese orgullo que consagra la desgracia,
Tristes de estar sus huesos vengando a picotazos,
El odio es lo que ansían, en lugar del rencor.

Son el entretenimiento de los rascatripas.
De chicuelos y putas, de la vieja ralea
De harapientos que bailan tras haber bebido.

Los poetas, buenos para limosnear o vengarse.
Sin conocer el mal de esos dioses borrosos,
Dicen que son molestos y nada inteligentes.

«Pueden ya mismo huir, hartos de cada hazaña,
Como un potro que echa tempestuosa espuma,
En lugar de lanzarse a un galope blindado.

»Nosotros embriagamos con incienso al que vence:
Mas vosotros, bufones, mejor que os pongáis
El harapo escarlata, y aullad que al fin cesemos».

Cuando en sus caras todos el desdén escupieron,
Nulos y suplicando en voz baja el trueno,
Estos héroes colmados de estrecheces jocosas

Van ridículamente a ahorcarse de un farol.


Traducción de FEDERICO GORBEA.