viernes, 7 de noviembre de 2014

Léon-Paul Fargue: Aeternae Memoriae Patris


AETERNAE MEMORIAE PATRIS

...Depuis, il y a toujours, suspendu dans mon front et qui me fait mal,
 Délavé, raidi de salpêtre et suri, comme une toile d'araignée qui pend dans une cave,
 Un voile de larmes toujours prêt à tomber sur mes yeux.
 Je n'ose plus remuer la joue; le plus petit mouvement réflexe, le moindre tic
 S'achève en larmes.

 Si j'oublie un instant ma douleur,
 Tout à coup, au milieu d'une aventure, dans le souffle des arbres,
 Dans la masse des rues, dans l'angoisse des gares,
 Au bras d'un vieil ami qui parle avec douceur,
 Ou dans une plainte lointaine,
 A l'appel d'un sifflet qui repand du froid sous des hangars,
 Ou dans une odeur de cuisine, un soir
 Qui rapelle un silence d'autrefois à table...
 Amenée par la moindre chose
 Ou touchée comme d'un coup sec du doigt de Dieu sur ma cendre,

 Elle ressucite! Et dégaine! Et me transperce du coup mortel sorti de l'invisible bataille,
 Aussi fort que la catastrophe crève le tunnel,
 Aussi lourd que la lame de fond se pétrit d'une mer étale,
 Aussi haut que le volcan lance son coeur dans les étoiles
 Je t'aurai donc partir sans rien te rendre
 De tout ce qui tu m'avais mis de toi, dans le coeur !
 Et je t'avais lassé de moi, et tu m'as quitté ;
 Et il a bien fallu cette nuit d'été pour que je comprenne... Pitié! Moi qui voulais... Je n'ai pas su... Pardon, à genoux, pardon !
 Que je m'écroule enfin, pauvre ossuaire qui s'éboule, oh pauvre sac d'outils dont la vie se débarrasse, d'un coup d'épaule, dans un coin...

 Ah je vous vois, mes aimés. Mon père, je te vois. Je te verrai toujours étendu sur ton lit,
 Juste et pur devant le Maître, comme au temps de ta jeunesse,
 Sage comme la barque amarrée dans le port, voiles carguées, fanaux éteints,
 Avec ton sourire mystérieux, contraint, à jamais fixé, fier de ton secret, relevé de tout ton labeur,
 En proie à toutes les mains des lumières droites et durcies dans le plein jour,
 Grisé par l'odeur de martyr des cierges,
 Avec les fleurs qu'on avait coupées pour toi sur la terrasse ;
 Tandis qu'une chanson de pauvre pleurait par-dessus le toits des ateliers dans une cour,
 Que le bruit des pas pressés se heurtait et se trompait de toutes parts,
 Et que les tambours de la Mort ouvraient et fermaient les portes!

 Je t'ai cherché, je t'ai porté ;
 Partout. -Dans un square désert au kiosque vide, où j'étais seul
 Devant la grille du couchant qui sombre et s'éteint, comme un vaisseau qui brûle derrière les arbres...
 Un jour.. dans quelque ville de province aux yeux mi-clos, qui tourne et s'éteint
 Devant la caresse hâtive des express...
 Dans une boutique où bougent d'un air boudeur des figures de cendre ;
 Sur la place vide où souffle l'oubli ;
 Aux rides des rues, aux cris des voyages...

 A l'aube, hors barrière, dans un quartier d'usines,
 ... Au tournant d'un mur, une averse de charbons lancée par des mains invisibles ;
 Un tuyau qui fume en sanglotant...
 Dans les faubourgs et les impasses où meuglent les sirènes, où les scieries se plaignent, où les pompiers sont surpris par un retour de flamme, à l'heure où les riches dorment...
 Un soir, dans un bois, sous la foule attentive des feuilles qui regardent là-haut filtrer les étoiles,
 Dans l'odeur des premiers matins et des cimetières,
 Dans l'ombre où sont éteints les déjeuners sur l'herbe,
 Où les insectes ont déserté les métiers...

 Partout où je cherchais à surprendre la vie
 Dans le signe d'intelligence du mystère
 J'ai cherché, j'ai cherché l'Introuvable...

 O Vie, laisse-moi retomber, lâche mes mains !
 Tu vois bien que ce n'est plus toi! C'est ton souvenir qui me soutient !


LÉON-PAUL FARGUE

AETERNAE MEMORIAE PATRIS

...Desde entonces hay siempre, suspendido en mi frente y doliéndome,
 Desleído, endurecido por el salitre y agrio, como una tela de araña que cuelga en un sótano,
Un velo de lágrimas siempre dispuesto a caer sobre mis ojos.
Ya no me animo a mover la mejilla; el más pequeño movimiento reflejo, el menor tic
Acaba en lágrimas.


Si olvido un instante mi dolor,
De pronto, en medio de una aventura, en el soplo de los árboles,
En la masa de las calles, en la angustia de las estaciones,
Del brazo de un viejo amigo que habla con dulzura
O en un lejano gemido,
Al llamado de un silbato que siembra el frío bajo los hangares,
O en un olor de cocina, una tarde
Que recuerda un silencio de antaño en la mesa,
Producido por cualquier cosa
O tocado como por un golpe seco del dedo de Dios en mi ceniza,


¡Resucita! íY desenvaina! Y me atraviesa con el golpe mortal salido de la batalla invisible,
Tan fuerte como la catástrofe que revienta el túnel,
Tan pesado como la ola del fondo que se amasa como una mar serena,
Tan alto como el volcán que arroja su corazón a las estrellas.
Así pues dejé que te fueras sin devolverte nada
De todo lo que en el corazón me habías puesto de ti.
Te había cansado de mí, y me dejaste,
Y era necesaria esta noche de verano para que comprendiese.
¡Piedad! Yo que quería... No supe... ¡Perdón, de rodillas, perdón!
Que yo me hunda al fin, pobre osario que se desmorona, oh pobre bolsa de herramientas de la que la vida se libra en un rincón en un alzarse de hombros...


Ah, los estoy viendo, mis amados. Padre mío, te veo. Te veré siempre acostado en tu lecho,
Justo y puro delante del Maestro, como en los tiempos de tu juventud,
Sereno como la barca amarrada en el puerto, con las velas recogidas, con los fanales apagados,
Con tu sonrisa misteriosa, incómoda, inmóvil para siempre, orgulloso de tu secreto, liberado de toda tu tarea,
Presa de todas las manos de las luces enhiestas y endurecidas del pleno día,
Ebrio del olor a mártir de los cirios,
Con las flores que habían cortado para ti en la terraza; 
Mientras lloraba la canción de un pobre por encima de los techos de los talleres de un patio,
Mientras, por todas partes, los ruidos de pasos apresurados se entrechocaban y se equivocaban
Y que los tambores de la Muerte abrían y cerraban las puertas.


Te he buscado, te he llevado en mí;
Por todas partes. En un jardín con un quiosco vacío donde yo estaba solo
Delante de la reja de un crepúsculo que se hunde y se apaga, como un navío se incendia detrás de la arboleda...
Un día... en alguna ciudad de provincia con los ojos entrecerrados que da vueltas y se apaga
Delante de la caricia apresurada de los trenes...
En un comercio donde se mueven con aire hosco figuras de ceniza;
En la playa vacía donde sopla el olvido;
En las arrugas de las calles y en los gritos de los viajes...


Al alba, pasando la barrera, en un barrio de fábricas.
A la vuelta de una calle, una lluvia de carbones lanzada por manos invisibles;
Un caño que arroja humo sollozando...
En los barrios periféricos, en las calles sin salida donde rugen las sirenas, donde se quejan los aserraderos, donde se asombran los bomberos de que la llama vuelva, a esa hora en que los ricos duermen.
Una tarde, en un bosque, bajo la atenta muchedumbre de las hojas que miran allá arriba cómo se filtran las estrellas.
En el olor de las primeras mañanas y de los cementerios,
En la sombra donde los almuerzos sobre la hierba se apagaron,
Donde los insectos desertaron los telares...


En todos los lugares donde buscaba sorprender la vida,
En el signo de connivencia del misterio
He buscado, he buscado lo inhallable...


¡Oh Vida, déjame que caiga, suéltame las manos!
Bien ves que ya no eres tú, que sólo tu recuerdo me sostiene.


Traducción de Miguel Ángel Frontán.

viernes, 31 de octubre de 2014

John Keats y José Ángel Valente




ODE ON A GRECIAN URN

THOU still unravish'd bride of quietness,  
  Thou foster-child of Silence and slow Time,  
Sylvan historian, who canst thus express  
  A flowery tale more sweetly than our rhyme:  
What leaf-fringed legend haunts about thy shape      
  Of deities or mortals, or of both,  
    In Tempe or the dales of Arcady?  
  What men or gods are these? What maidens loth?  
What mad pursuit? What struggle to escape?  
    What pipes and timbrels? What wild ecstasy?  

Heard melodies are sweet, but those unheard  
  Are sweeter; therefore, ye soft pipes, play on;  
Not to the sensual ear, but, more endear'd,  
  Pipe to the spirit ditties of no tone:  
Fair youth, beneath the trees, thou canst not leave  
  Thy song, nor ever can those trees be bare;  
    Bold Lover, never, never canst thou kiss,  
Though winning near the goal—yet, do not grieve;  
    She cannot fade, though thou hast not thy bliss,  
  For ever wilt thou love, and she be fair!

Ah, happy, happy boughs! that cannot shed  
  Your leaves, nor ever bid the Spring adieu;  
And, happy melodist, unwearièd,  
  For ever piping songs for ever new;  
More happy love! more happy, happy love!  
  For ever warm and still to be enjoy'd,  
    For ever panting, and for ever young;  
All breathing human passion far above,  
  That leaves a heart high-sorrowful and cloy'd,  
    A burning forehead, and a parching tongue.

Who are these coming to the sacrifice?  
  To what green altar, O mysterious priest,  
Lead'st thou that heifer lowing at the skies,  
  And all her silken flanks with garlands drest?  
What little town by river or sea-shore,  
  Or mountain-built with peaceful citadel,  
    Is emptied of its folk, this pious morn?  
And, little town, thy streets for evermore  
  Will silent be; and not a soul, to tell  
    Why thou art desolate, can e'er return.

O Attic shape! fair attitude! with brede  
  Of marble men and maidens overwrought,  
With forest branches and the trodden weed;  
  Thou, silent form! dost tease us out of thought  
As doth eternity: Cold Pastoral!
  When old age shall this generation waste,  
    Thou shalt remain, in midst of other woe  
  Than ours, a friend to man, to whom thou say'st,  
'Beauty is truth, truth beauty,—that is all  
    Ye know on earth, and all ye need to know.'




ODA A UNA URNA GRIEGA

Tú todavía inviolada novia del sosiego, 
criatura nutrida de silencio y tiempo despacioso, 
silvestre narradora que así puedes contar 
una historia florida con dulzura mayor que nuestro canto. 
¿Qué leyenda orlada de hojas evoca tu figura 
con dioses o mortales o con ambos, 
en Tempe o en los valles de Arcadia? 
¿Qué hombres o qué dioses aparecen? ¿Qué rebeldes doncellas? 
¿Qué loca persecución? ¿Quién lucha por huir? 
¿Qué caramillos y panderos? ¿Qué éxtasis salvaje? 


Dulces son las oídas melodías, pero las inoídas 
son más dulces aún; sonad entonces suaves caramillos 
no al oído carnal, sino, más seductores, 
dejad que oiga el espíritu tonadas sin sonido. 
Hermoso adolescente, bajo los árboles, no puedes 
suspender tu canción ni nunca quedarán los árboles desnudos; 
amante audaz, no alcanzarás el beso 
tan cercano, mas no penes; 
ella no puede marchitarse, aunque no se consume tu deseo, 
para siempre amarás y ella será hermosa.


Ah ramas felicísimas que no podréis nunca 
esparcir vuestras hojas ni abandonar jamás la primavera; 
y tú, oh músico feliz, infatigable, 
que modulas sin término canciones siempre nuevas; 
y más feliz amor y más y más feliz amor, 
entre el deseo para siempre y la inminencia de la posesión, 
entre el aliento jadeante y la perpetua juventud. 
Todo respira mucho más arriba que la pasión del hombre 
que deja el corazón hastiado y dolorido, 
y una frente febril y una boca abrasada. 


¿Quiénes avanzan hacia el sacrificio? 
¿Hasta qué verde altar, misterioso oficiante, 
llevas esa ternera que muge hacia los cielos 
y cuyos sedosos flancos se visten de guirnaldas? 
¿Qué pequeña ciudad en las orillas de un río o de la mar 
o en una montaña coronada de quieta ciudadela 
dejan sus gentes sola en la pía mañana? 
Ciudad pequeña, tus calles para siempre 
quedarán en silencio y nadie nunca 
para dar la razón de tu abandono ha de volver. 


¡Ática forma! ¡Figura sin reproche! En mármol, 
de hombres y doncellas guarnecida 
y de silvestres ramos y de hierbas holladas. 
Oh forma silenciosa que desafía nuestro pensamiento 
como la eternidad. Oh fría pastoral. 
Cuando a esta generación consuma el tiempo 
tú quedarás entre otros dolores 
distintos de los nuestros, tú, amiga del hombre, al que repites: 
La belleza es verdad y la verdad belleza. Tal es cuanto 
sobre la tierra conocéis, cuanto necesitáis conocer.


Versión castellana de JOSÉ ÁNGEL VALENTE.

martes, 21 de octubre de 2014

Arthur Rimbaud y Mauricio Bacarisse





LE BATEAU IVRE

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

ARTHUR RIMBAUD




EL BARCO EBRIO


Yo sentí al descender los impasibles Ríos
que ya no me sirgaban mis conductores rudos;
de blanco a pieles-rojas chillones y bravíos
sirvieron en los postes, clavados y desnudos.

Por las tripulaciones nunca tuve interés
y cuando terminó la cruel algarabía,
a mí, barco de trigo y de algodón inglés,
me dejaron los Ríos ir adonde quería.

Bogué en un cabrilleante furor de marejadas
más sordo e insensible que meollo de infantes
y las viejas Penínsulas por el mar desgajadas
no han sufrido vaivenes más recios y triunfantes.

La tempestad bendijo mi despertar marino.
Diez noches he bailado más leve que un tapón
sobre olas que a las víctimas abrían el camino,
sin lamentar la necia mirada de un farón.

Cual para el niño poma modorra, regodeo
fue para el agua verde este casco de pino;
dispersando el timón y perdiendo el arpeo
me lavó de inmundicias y de manchas de vino.

Desde entonces me baña el poema del mar
lactascente, infundido de astros; muchas veces,
devorando lo azul, en él se ve pasar
un pensativo ahogado de turbias palideces.

Algo tiñe la azul inmensidad y delira
en ritmos lentos, bajo el diurno resplandor.
Más fuerte que el alcohol, más vasta que una lira
fermenta la amargura de las pecas de amor.

He visto las resacas, la tormenta sonora,
las corrientes, las mangas -y de todo sé el nombre-;
cual vuelo de palomas a la exaltada aurora,
y alguna vez he visto lo que cree ver el hombre.

Yo he visto al sol manchado de místicos horrores,
alumbrando cuajados violáceos sedimentos.
Cual en dramas remotos los reflujos actores
lanzaban en un vuelo sus estremecimientos.

Soñé en la noche verde de espuma y nieve ahíta
-en los ojos del mar, lentos besos de amor-
y en la circulación de la savia inaudita
que arrastra áureo y azul, al fósforo cantor.

Asaltando arrecifes, un mes tras otro mes,
seguí a la marejada histérica y vesánica,
sin creer que las Marías con sus fúlgidos pies
cortaran el resuello a la jeta oceánica.

¡No sabéis... ! Dí con muchas increíbles Floridas,
con ojos de panteras y con pieles humanas
mezclábanse arcos-iris, tendidos como bridas,
al rebaño marino de las verdosas lanas.

He visto fermentar las enormes lagunas
en cuyas espadañas se pudre un Leviathán
y he visto, con bonanza, desplomándose algunas
cataratas remotas que a los abismos van...

Vi el sol de plata, el nácar del mar, el cielo ardiente,
horrores encallados en las pardas bahías
y mucha retorcida y gigante serpiente
cayendo de los árboles, con fragancias sombrías.

Quisiera yo enseñar a un niño esas doradas
de la onda azul. pescados cantores, rutilantes...
Me bandijo la espuma al salir de las radas
y el inefable viento me elevó por instantes...

Fui mártir de los polos y las zonas hastiado,
el sollozo del mar dulcificó mi arfada;
con flores amarillas ventosas fui obsequiado,
y me quedé como una mujer arrodillada.

Igual que una península llevaba las disputas
y el fimo de chillonas aves de ojos melados,
y mientras yo bogaba, de entre jarcias enjutas
bajaban a dormir, de espaldas, los ahogados.

Y yo, barco perdido entre la cabellera
de ensenadas, al éter echado por la racha,
no merecí el remolque de anseáticas veleras
ni de los monitores, nave de agua borracha.

Humeante, libre, ornado de neblinas violetas
segué el cielo rojizo con brío de segur
llevando -almíbar grato a los buenos poetas-
mis líquenes de sol y mis mocos de azur.

Las lúnulas eléctricas me fueron recubriendo,
almadía, escoltada por negros hipocampos.
Las ardientes canículas golpearon abatiendo
en trombas, a los cielos de ultramarinos lampos.

Yo que temblé al oír a través latitudes
el rugir de los Behemots y los Maelstroms en celo,
eterno navegante de azuladas quietudes,
por los muelles de Europa ahora estoy sin consuelo.

Yo vi los archipiélagos siderales que el hondo
y delirante cielo abren al bogador.
¿Te recoges tú y duermes en las noches sin fondo,
millón de aves de oro, venidero Vigor?

El acre amor me ha henchido de embriagador letargo.
Lloré mucho. Las albas son siempre lacerantes.
Toda luna es atroz y todo sol amargo.
¡Que se rompa mi quilla y vaya al mar cuanto antes!

Si yo ansío algún agua de Europa es la del charco
negro y frío en el cual, al caer la tarde rosa,
en cuclillas y triste, un niño suelta un barco
endeble y delicado como una mariposa.

Ya nunca más podré, olas acariciantes,
aventajar a otros transportes de algodón,
ni cruzando el orgullo de banderas flameantes
nadar junto a los ojos horribles de un pontón.


MAURICIO BACARISSE

jueves, 9 de octubre de 2014

Alfred Jarry: Dos especulaciones


Alfred Jarry - Dos especulaciones 









LA CERVELLE DU SERGENT DE VILLE

ON n’a point oublié cette récente et lamentable affaire: à l’autopsie, on trouva la boîte crânienne d’un sergent de ville vide de toute cervelle, mais farcie de vieux journaux. L’opinion publique s’émut et s’étonna de ce qu’elle jugea une macabre mystification. Nous aussi, nous sommes douloureusement ému, mais en aucune façon étonné.

  Nous ne voyons point pourquoi on se serait attendu à découvrir autre chose dans le crâne du sergent de ville que ce qu’on y a en effet trouvé. C’est une des gloires de ce siècle de progrès que la grande diffusion de la feuille imprimée; et en tous cas il n’est point douteux que cette denrée s’atteste moins rare que la substance cérébrale. À qui de nous n’est-il pas arrivé infiniment plus souvent de tenir entre les mains un journal, vieux ou du jour, que même une parcelle de cervelle de sergent de ville? À plus forte raison serait-il oiseux d’exiger que pussent en présenter à toute réquisition une tout entière ces obscures et peu rémunérées victimes du devoir. Et d’ailleurs, le fait est là: c’étaient bien des journaux.


Alfred Jarry, por Sebastiano Zampini

EL CEREBRO DEL AGENTE DE POLICÍA

  NADIE ha olvidado este reciente y lamentable asunto: en el momento de la autopsia, se encontró la caja craneana de un agente de policía vacía de todo rastro de sesos, pero llena de diarios viejos. La opinión pública quedó conmocionada y sorprendida por lo que consideró una macabra mistificación. También nosotros estamos dolorosamente conmocionados, pero de ninguna manera sorprendidos.

  No vemos por qué se esperaba descubrir en el cráneo del agente de policía algo distinto de lo que efectivamente se encontró en él. La gran difusión de los periódicos es una de las glorias de este siglo de progreso; y, en todo caso, no cabe duda de que este producto resulta menos escaso que la sustancia cerebral. ¿Quién de nosotros no ha tenido muchísimo más a menudo en las manos un diario, atrasado o de la fecha, antes que, aunque más no fuese, una pequeña porción de sesos de agente de policía? Con más razón aún, sería ocioso exigir que esas oscuras y mal remuneradas víctimas del deber pudieran presentar, cada vez que se lo requiriese, un cerebro entero. Y, por otra parte, el hecho está allí: eran, realmente, diarios.

viernes, 3 de octubre de 2014

Roger Gilbert-Lecomte: Coronación y masacre del amor





SACRE ET MASSACRE DE L'AMOUR

I

A l'orient pâle où l'éther agonise
A l'occident des nuits des grandes eaux
Au septentrion des tourbillons et des tempêtes
Au sud béni de la cendre des morts
 
Aux quatre faces bestiales de l'horizon
Devant la face du taureau
Devant la face du lion
Devant la face de l'aigle
Devant la face d'homme inachevée toujours
Et sans trêve pétrie par la douleur de vivre

Au coeur de la colombe
Dans l'anneau du serpent
 
Du miel du ciel au sel des mers
  
Seul symbole vivant de l'espace femelle
Corps de femme étoilé
Urne et forme des mondes

Corps d'azur en forme de ciel

II

Territoire fantôme des enfants de la nuit
Lieu de l'absence du silence et des ombres
Tout l'espace et ce qu'il enserre
Est un trou noir dans le blanc plein

Comme la caverne des mondes
Tout le corps de la femme est un vide à combler


III

L'aube froide
Des ténèbres pâles
Inonde les pôles
Du ciel et de la chair

Des courants souterrains de la chair et des astres

Au fond des corps de terre
Les tremblements de terre
Et les failles où vont les volcans du délire
Tonner

Entez sur le trépied
Celle qui hurle
La bouche mangée
Par l'amertume
En flammes du laurier de gloire
Écume
De la colère des mers
La femme à chevelure
D'orages
Aux yeux d'éclipse
Aux mains d'étoiles rayonnantes
A la chair tragique vêtue de la soie des frissons
A la face sculptée au marbre de l'effroi
Aux pieds de lune et de soleil
A la démarche d'océan
Aux reins mouvants de vive houle
Ample et palpitante

Son corps est le corps de la nuit
Flamme noire et double mystère
De son inverse identité qui resplendit
Sur le miroir des grandes eaux


IV

Visitation blême au désert de l'amour

Aveugle prophétesse au regard de cristal
Que les oreilles de ton cœur
Entendent rugir les lions intérieurs
Du cœur

Le grand voile de brume rouge et la rumeur
Du sang brûlé par le poison des charmes

Et les prestiges du désir
Suscitant aux détours de ta gorge nocturne
La voracité des vampires

Danse immense des gravitations nuptiales
Aux palpitations des mondes et des mers
Au rythme des soleils du cœur et des sanglots
Vers le temple perdu dans l'abîme oublié
Vers la caverne médusante qu'enfanta
L'ombre panique dans la première nuit du monde
Voici l'appel la trombe et le vol des semences
L'appel au fond de tout du centre souterrain

Danseuse unissant la nuit à l'eau-mère
Végétal unissant la terre au sang du ciel


V

Comme Antée reprend vie au contact de la terre
Le vide reprend vie au contact de la chair

Je viens dans ton sein accomplir le rite

Le rythmique retour au pays d'avant-naître
Le signe animal de l'extase ancienne

Je viens dans ton sein déposer l'offrande
Du baume et du venin

Aveugle anéanti dans les caves de l'être



VI

Mais qui saurait forcer le masque de ta face
Et l'opaque frontière des peaux
Atteindre le point nul en soi-même vibrant
Au centre le point mort et père des frissons
Roulant à  l'infini leurs ondes circulaires
Tout immobile au fond du cœur l'astre absolu
Le point vide support de la vie et des tourments
Le secret des métamorphoses aveugles

D'où vient l'espoir désespéré
D'amour anéanti dans une double absence
Au sommet foudroyé du délire
Acte androgyne d'unité
Que l'homme avait à jamais oublié
Avant la naissance du monde

Avant l'hémorragie
Avant la tête


VII

Paroles du Thibet
Il est dit autrefois
Qu'errant éperdue dans l'informe
Eparse dans l'obscurité
La pauvre ombre sans graisse du mort

La bouche pleine de terre
Dans le noir sans mémoire tourbillonne il fait froid
L'espace ne connaît que le glissement glacé des larves
Soudain
Si phalène que tente une lueur lointaine
Elle aperçoit la caverne enchantée
Le paradis illuminé des gemmes chaudes
Le règne des splendeurs et des béatitudes
Aux confins du désir essentiel
Qui jamais satisfait perpétuel se comble

A l'appel enivrant d'odeurs vertigineuses
Qu'elle y entre
Ombre morte
Et s'endorme
Pour se réveiller à jamais enchaînée
Engluée aux racines d'un ventre
Foetus hideux voué pour une vie encore
Au désespoir des générations
Roulé par la roue de l'horreur de vivre

Du vieux fœtus aïeul
A notre mère putride
La pourriture aïeule
En robe de phosphore

La reine démente
Qui fait et défait
Le destins et les formes

Et du corps étoilé
De l'éternelle femme
Livre les ossements à l'honneur de sa cendre
 
Impose à l'orgueil de statue des chairs
L'horizontalité effroyable de l'eau



CONSAGRACIÓN Y MASACRE DEL AMOR

I

En el pálido oriente en que agoniza el éter
En el occidente de las noches de las grandes aguas
En el septentrión de los torbellinos y de las tormentas
En el sur bendito de las cenizas de los muertos

En las cuatro faces bestiales del horizonte
Ante la faz del toro
Ante la faz del león
Ante la faz del águila
Ante la faz del hombre inacabada siempre
Y sin pausa amasada por el dolor de vivir

En el corazón de la paloma
En el anillo de la serpiente

De la miel del cielo a la sal de los mares

Único símbolo viviente del espacio hembra
Cuerpo de mujer tachonado de estrellas
Urna y forma de los mundos

Cuerpo de azul en forma de cielo


II

Territorio fantasma de los hijos de la noche
Lugar de la ausencia del silencio y de las sombras
Todo el espacio y lo que éste encierra
Es un hueco negro en lo blanco uniforme

Como la caverna de los mundos
Todo el cuerpo de la mujer es un vacío que hay que llenar


III

El alba fría
De las tinieblas pálidas
Inunda los polos
Del cielo y de la carne

De las corrientes subterráneas de la carne y de los astros

En el fondo de los cuerpos de tierra
Los sismos de tierra
Y las fallas adonde van los volcanes del delirio
A tronar

Injerten en el trípode
A la que grita
Con la boca roída
Por la amargura
En llamas del laurel de gloria
Espuma
De la cólera de los mares
La mujer de cabellera
De tormentas
Con los ojos de eclipse
Con las manos de estrellas refulgentes
Con la carne trágica vestida con la seda de los escalofríos
Con el rostro esculpido en el mármol del espanto
Con los pies de luna y de sol
Con la manera de andar del océano
Con las caderas movedizas de intensa marejada
Amplia y palpitante

Su cuerpo es el cuerpo de la noche
Llama oscura y doble misterio
De su inversa identidad que resplandece
En el espejo de las grandes aguas



IV

Visitación pálida en el desierto del amor

Ciega profetisa de mirada de cristal
Que los oídos de tu corazón
Oigan rugir los leones interiores
Del corazón

El gran velo de bruma roja y el rumor
De la sangre quemada por el veneno de los encantamientos

Y los prestigios del deseo
Que suscita en las curvas de tus pechos nocturnos
La voracidad de los vampiros

Danza inmensa de las gravitaciones nupciales
En las palpitaciones de los mundos y de los mares
En el ritmo de los soles del corazón y de los sollozos
Hacia el templo perdido en el abismo olvidado
Hacia la caverna paralizante que engendró
La sombra pánica en la primera noche del mundo
He aquí el llamado la tromba y el vuelo de las simientes
El llamado en lo profundo de todo del centro subterráneo

Bailarina que une la noche con el agua-madre
Vegetal que une la tierra con la sangre del cielo


V

Como Anteo vuelve a cobrar vida al contacto con el suelo
El vacío vuelve a cobrar vida al contacto con la carne

Vengo a tu seno a cumplir con el rito

El rítmico retorno al país de antes-de-nacer
El signo animal del éxtasis antiguo

Vengo a tu seno a colocar la ofrenda
Del bálsamo y del veneno

Ciego anonadado en los sótanos del ser


VI

Pero quién sabrá forzar la máscara de tu rostro
Y la opaca frontera de las pieles
Alcanzar el punto nulo en sí mismo vibrante
En el centro el punto muerto y padre de los escalofríos
Que extienden hasta lo infinito sus ondas circulares
Enteramente inmóvil en lo hondo del corazón el astro absoluto
El punto vacío soporte de la vida y de los tormentos
El secreto de las metamorfosis ciegas

De donde proviene la esperanza desesperada
De amor aniquilado en una doble ausencia
En la cúspide fulminada del delirio
Acto andrógino de unidad
Que el hombre había por siempre olvidado
Antes del nacimiento del mundo

Antes de la hemorragia
Antes de la cabeza


VII

Palabras del Tíbet
Antaño fue dicho
Que errante en lo informe desamparada
Dispersa en la oscuridad
La pobre sombra sin grasa del muerto

Con la boca llena de tierra
En la negrura sin memoria se arremolina hace frío
El espacio sólo conoce el deslizamiento gélido de las larvas
De pronto
Como falena a la que tienta un resplandor lejano
Percibe la caverna encantada
El paraíso iluminado con gemas ardientes
El reino de los esplendores y de las bienaventuranzas
En los confines del deseo esencial
Que nunca satisfecho perpetuo se colma

Al llamado embriagador de olores vertiginosos
Que entre allí
Sombra muerta
Y se duerma
Para despertarse encadenada para siempre
Pegada a las raíces de un vientre
Horrible feto destinado por una vida más
A la desesperación de las generaciones
Arrastrado por la rueda del horror de vivir

Del viejo feto ancestral
A nuestra madre pútrida
La ancestral podredumbre
Vestida de fósforo

La reina demente
Que hace y deshace
Los destinos y las formas

Y del cuerpo tachonado de estrellas
De la eterna mujer
Entrega los huesos al honor de su ceniza

Impone al orgullo de estatua de la carne
La horizontalidad aterradora del agua