Parmi les catastrophes qui ont jalonné le XXe siècle, il en est une fort amère pour les écrivains, et spécialement les écrivains français : c’est que le langage du corps a remplacé le langage de l’âme. La science et la technique, ces deux gorgones, camouflées longtemps sous le masque bénin du progrès, se sont substituées à ce qui avait nourri les hommes pendant des millénaires et qui préservait leur cœur d’être tout à fait creux et plein d’ordure : l’art. Elles ont défiguré leur terre ; elles ont corrompu leurs paroles. Ce n’est pas l’anglais, comme on le prétend volontiers, qui l’emporte sur le français, mais un idiome forgé par les inventeurs ou les vendeurs des petits et des gros objets qui servent tantôt à apporter du plaisir à la viande humaine, tantôt à la hacher. Ce n’est pas Shakespeare qui tue Racine : c’est les prospectus pour les machines à laver. Et Shakespeare n’est pas moins navré dans l’opération. « Je ne me laisse pas éblouir par des bateaux à vapeur et des chemins de fer. Tout cela n’est pas la civilisation », disait Chateaubriand. Depuis un demi-siècle, l’humanité est éblouie et pâmée devant ses jouets. L’homme s’éloigne de la civilisation pour entrer dans une espèce de barbarie étrange, faite de confort et de crime. Il croit être enfin le maître de la nature : il n’est que le maître de sa mort.
Réception de M. Jean DUTOURD
Del discurso de recepción a la Academia Francesa. 10 de enero de 1980.
Entre las catástrofes que han marcado el siglo XX hay una en extremo amarga para los escritores y, especialmente, para los escritores franceses: el lenguaje del cuerpo ha reemplazado el lenguaje del alma. La ciencia y la técnica, esas dos gorgonas, camufladas durante mucho tiempo bajo la máscara benigna del progreso, se han substituido a aquello que había alimentado a los hombres durante milenios y que había preservado su corazón de estar por completo vacío y lleno de basura: el arte. Han desfigurado la tierra que pisan; han corrompido sus propias palabras. No es el inglés, como fácilmente se pretende, que vence al francés, sino un idioma forjado por los inventores y los vendedores de los pequeños y grandes objetos que sirven ya sea para dar placer a la res humana ya sea para hacerla pedazos. No es Shakespeare quien mata a Racine: son los modos de empleo de las lavadoras. Y esa operación redunda en mayor desconsuelo para Shakespeare. “No me dejo encandilar con barcos a vapor y con trenes. Todo eso no es la civilización”, decía Chateaubriand. Desde hace medio siglo la humanidad permanece encandilada y boquiabierta delante de sus juguetes. El hombre se aleja de la civilización para entrar en una especie de barbarie extraña hecha de confort y de crimen. Cree que por fin domina la naturaleza: lo único que domina es su propia muerte.
Traducción de Miguel Frontán Alfonso.
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