J'étais descendu de voiture à la poste, et pendant qu'on allait me chercher
un forgeron pour raccommoder une des mains de derrière de ma calèche, je
parcourais l'Histoire de Russie, d'où j'ai extrait ce passage, que je vous
copie sans y changer un mot.
«1721. Depuis la mort
d'Adrien[23], Pierre[24] avait paru différer toujours de se prêter à l'élection
d'un nouveau patriarche. Pendant vingt années de délai, la vénération
religieuse du peuple pour ce chef de l'Église s'était insensiblement refroidie.
«L'Empereur crut pouvoir
déclarer enfin que cette dignité était abolie pour toujours. Il partagea la
puissance ecclésiastique, réunie auparavant tout entière dans la personne d'un
grand pontife, et fit ressortir toutes les matières qui concernent la religion
d'un nouveau tribunal qu'on appelle le saint synode.
«Il ne se déclara pas le chef
de l'Église; mais il le fut en effet par le serment que lui prêtèrent les
membres du nouveau collége ecclésiastique. Le voici: «Je jure d'être fidèle et
obéissant serviteur et sujet de mon naturel et véritable souverain… Je
reconnais qu'il est le juge suprême de ce collége spirituel.»
«Le synode est composé d'un
président, de deux vice-présidents, de quatre conseillers et de quatre
assesseurs. Ces juges amovibles des causes ecclésiastiques sont bien éloignés
d'avoir ensemble le pouvoir que possédait seul le patriarche, et dont autrefois
avait joui le métropolite. Ils ne sont point appelés dans les conseils; leur
nom ne paraît point dans les actes de la souveraineté; ils n'ont même, dans les
matières qui leur sont soumises, qu'une autorité subordonnée à celle du souverain.
Comme aucune marque extérieure ne les distingue des autres prélats, et que leur
autorité cesse dès qu'ils ne siégent plus sur leur tribunal; enfin, comme ce
tribunal lui-même n'a rien de fort imposant, ils n'inspirent point au peuple
une vénération particulière.»
(Histoire de Russie et des
principales nations de l'Empire russe, par Pierre-Charles l'Évesque; 4e
édition, publiée par Malte-Brun et Depping, volume 5, pages 89 et 90. Paris,
1812. Fournier, rue Poupée, n° 7; Ferra, rue des Grands-Augustins, n° 11.)
Ce qui me console des accidents arrivés à ma voiture, c'est que ces retards
sont favorables à mes travaux.
Le peuple russe est de nos jours le plus croyant des peuples chrétiens:
vous venez de voir la principale cause du peu d'efficacité de sa foi. Quand
l'Église abdique la liberté, elle perd la virtualité morale; esclave, elle
n'enfante que l'esclavage. On ne peut assez le répéter, la seule Église
véritablement indépendante, c'est l'Église catholique, qui seule aussi a
conservé le dépôt de la vraie charité; toutes les autres Églises font partie
constitutive des États qui s'en servent comme de moyens politiques pour appuyer
leur puissance. Ces Églises sont d'excellents auxiliaires du gouvernement;
complaisantes pour les dépositaires du pouvoir temporel, princes ou magistrats,
dures pour les sujets, elles appellent la Divinité au secours de la police; le
résultat immédiat est sûr, c'est le bon ordre dans la société; mais l'Église
catholique, tout aussi puissante, politiquement, vient de plus haut et va plus
loin. Les Églises nationales font des citoyens: l'Église universelle fait des
hommes.[…]
On frémit en reconnaissant à quel usage les vérités religieuses peuvent
servir ici-bas; et l'on tombe à genoux devant Dieu pour lui demander une grâce,
une seule, c'est de vouloir que les interprètes de sa suprême sagesse soient
toujours des hommes libres: un prêtre esclave est inévitablement un menteur, un
apostat, et peut devenir un bourreau. Toute église nationale est
au moins schismatique et dès lors dépendante. Le sanctuaire, une fois qu'il a
été profané par la révolte, devient une officine où se distille le poison sous
l'apparence du remède. Tout véritable prêtre est citoyen du monde et pèlerin du
ciel. Sans s'élever au dessus des lois de son pays comme homme, il n'a pour
juge de sa foi comme apôtre que l'évêque des évêques, que le seul pontife
indépendant qu'il y ait sur la terre. […]
Toutefois, il faut le dire, malgré la timidité proverbiale du clergé russe,
c'est encore le pouvoir religieux qui, durant l'incompréhensible règne d'Ivan
IV, a le plus longtemps résisté. Plus tard, Pierre Ier et Catherine II ont bien
vengé leur prédécesseur des hardiesses de l'Église. Le sacrifice est consommé;
le prêtre russe, appauvri, humilié, dégradé, marié, privé de son chef suprême
dans l'ordre spirituel, dépouillé de tout prestige, de toute-puissance
surnaturelle, homme de chair et de sang, se traîne à la suite du char triomphal
de son ennemi qu'il appelle encore son maître; il est devenu de que ce maître a
voulu qu'il fût: le plus humble des esclaves de l'autocratie... […]
« On a toujours prêché fort peu dans les églises schismatiques, et
chez nous, l'autorité politique et religieuse s'est opposée plus qu'ailleurs
aux discussions théologiques; sitôt qu'on a voulu commencer à expliquer les
questions débattues entre Rome et Byzance, le silence a été imposé aux deux
partis. Les sujets de dispute ont si peu de gravité que la querelle ne peut se
perpétuer qu'à force d'ignorance. Dans plusieurs institutions de filles et de
garçons, à l'instar des jésuites, on a fait donner quelques instructions
religieuses; mais l'usage de ces conférences n'est que toléré, et de temps à
autre on l'abroge: un fait qui vous paraîtra incompréhensible, quoiqu'il soit
positif, c'est que la religion n'est pas enseignée publiquement en Russie. Il
résulte de là une multitude de sectes dont le gouvernement ne vous laisse pas
soupçonner l'existence.
« Il y en a une qui tolère la polygamie: une autre va plus loin: elle
pose en principes et met en pratique la communauté des femmes pour les hommes,
et des hommes pour les femmes.
«Il est défendu à nos prêtres d'écrire, même des chroniques: à chaque
instant un paysan interprète un passage de la Bible, qui, pris isolément et
appliqué à faux, donne aussitôt lieu à une nouvelle hérésie, calviniste le plus
souvent. Quand le pope du village s'en aperçoit, l'hérésie a déjà gagné une
partie des habitants de la commune, et grâce à l'opiniâtreté de l'ignorance,
elle s'est même enracinée jusque chez les voisins: si le pope crie, aussitôt
les paysans infectés sont envoyés en Sibérie, ce qui ruine le seigneur, lequel,
s'il est prévoyant, fait taire le pope par plus d'un moyen; et quand, malgré
tant de précautions, l'hérésie arrive au point d'éclater aux yeux de l'autorité
suprême, le nombre des dissidents est si considérable qu'il n'est plus possible
d'agir: la violence ébruiterait le mal sans l'étouffer, la persuasion ouvrirait
la porte à la discussion, le pire des maux aux yeux du gouvernement absolu; on
n'a donc recours qu'au silence qui cache le mal sans le guérir, et qui, au
contraire, le favorise.
«C'est par les divisions religieuses que périra l'Empire russe; aussi, nous
envier, comme vous le faites, la puissance de la foi, c'est nous juger sans
nous connaître!!» […]
Des signes de croix, des salutations dans la rue, des génuflexions devant
des chapelles, des prosternations de vieilles dévotes contre le pavé des
églises, des baisements de main; une femme, des enfants, et le mépris
universel, voilà tout le fruit que le pope a recueilli de son abdication… voilà
tout ce qu'il a pu obtenir de la nation la plus superstitieuse du monde… Quelle
leçon!… quelle punition! Voyez et admirez, c'est au milieu du triomphe de son
schisme que le prêtre schismatique est frappé d'impuissance. Le prêtre, lorsqu’il
veut accaparer le pouvoir temporel, périt faute de vues assez élevées pour
reconnaître la voie que Dieu lui ouvre, le prêtre qui se laisse détrôner par le
roi périt faute de courage pour suivre cette voie : tous les deux manquent
également à leur vocation suprême.
J’ai vu en Russie une Église chrétienne, que personne n’attaque, que tout
le monde respecte, du moins en apparence : une Église que tout favorise
dans l’exercice de son autorité morale, et pourtant cette Église n’a nul pouvoir
sur les cœurs ; elle ne sait faire que des hypocrites ou des
superstitieux. […]
Cette Église est morte, et pourtant, à en juger d’après ce qui se passe en
Pologne, elle peut devenir persécutrice ; tandis qu’elle n’a ni d’assez
hautes vertus, ni d’assez grands talents pour être conquérante par la pensée ;
en un mot, il manque à l’Église russe ce qui manque à tout dans ce pays :
la liberté, sans laquelle l’esprit de vie se retire et la lumière s’éteint.
La Russie en 1839
LA IGLESIA ORTODOXA RUSA
En la parada para el relevo de caballos he bajado del
coche y mientras esperaba que el herrero recompusiera un brancal posterior del
vehículo que se había averiado, he releído la «Historia de Rusia» [Pierre-Charles
Levesque: Histoire de Russie et des principales
nations del Empire russe. Malte, Boun y Depping, París, 1812, 4.ª edición,
Vol. V, páginas 89 y ss.] de la que entresaco el siguiente pasaje que copio literalmente:
1721.
Después del fallecimiento de Adriano (último patriarca de Moscú), Pedro
(emperador) había procurado diferir el nombramiento de su sucesor. En los
postreros veinte años la veneración religiosa de parte del pueblo hacia este
jefe de la Iglesia se había ido debilitando sensiblemente.
El
emperador creyó llegado el momento de declarar que aquella dignidad sería
definitivamente abolida. Se decidió, pues, a dividir el poder eclesiástico,
antes reunido por entero en la persona del Sumo Pontífice, e instituyó un nuevo
tribunal llamado el santo sínodo confiándole todas las materias concernientes a
la religión.
No se
proclamó jefe de la iglesia, pero lo fue en realidad, debido al juramento que
le prestaron los miembros del nuevo colegio eclesiástico. He aquí su fórmula:
«Juro ser fiel y obediente servidor y súbdito de mi natural y verdadero
soberano… Reconozco que él es el juez supremo de este colegio espiritual».
En nuestros días el pueblo ruso es el más creyente de
entre los pueblos cristianos, aun cuando por la sumisión al emperador su fe
tenga escasa virtualidad. Es que cuando la Iglesia abdica de su libertad pierde
toda eficacia moral y en tal estado de vilipendio sólo puede engendrar
servilismo. Insisto en decir que de todas las confesiones religiosas, la única
realmente independiente es la iglesia católica y la única también que ha sabido
conservar íntegro el depósito de la verdadera caridad; todas las demás son
parte constitutiva de un poder temporal que las utiliza como medio político
para fortalecer su autoridad. Las iglesias nacionales son excelentes auxiliares
del gobierno; si se muestran complacientes para con el que manda, príncipe o
magistrado, son duras con respecto al pueblo y no se ruborizan de llamar a la
divinidad en ayuda de la policía para conservar un orden que consideran
intangible. Sólo la Iglesia católica, igualmente poderosa, es políticamente
libre porque su poder viene de más alto y de más lejos; con todo lo cual, el
resultado es que mientras las iglesias nacionales forman súbditos, la iglesia
universal forja hombres.
El temor del mal uso que se puede hacer de las
verdades religiosas en este bajo mundo, es ciertamente justificado y nada más
prudente que pedir a Dios esta gracia: que los intérpretes de su infinita
sabiduría sean siempre hombres libres. Un clérigo domesticado ha de ser
forzosamente un impostor, un apóstata, y si el caso viene, un verdugo. El
templo de la iglesia cismática y dependiente, una vez profanado con la
impostura, deja de ser lo que debe ser para convertirse en oficina donde se
destila veneno bajo apariencia de remedio. En cambio, el verdadero sacerdote,
como ciudadano del universo y peregrino del cielo, sin atentar a las leyes de
su país, no reconoce otro juez de su fe y otro jefe apostólico que el obispo de
los obispos, el Sumo Pontífice que no tiene superior sobre la tierra.
A pesar de la triste situación del clero ruso, importa
recordar que durante el reinado de Iván IV fue el poder religioso el que más
resistió y por más tiempo. Fueron Pedro I y Catalina II los que vengaron a su
predecesor de una tal resistencia, al consumar el sacrificio del poder
eclesiástico y reducir al clérigo ruso al estado lamentable de un ser
empobrecido, humillado, degradado, libre de celibato, sin jefe supremo en el
orden espiritual; a la condición de un hombre que, víctima de todas sus
miserias, se ve atado al carro triunfal del que apellida señor con razón, por
ser éste el que le ha plegado a su voluntad y le ha convertido en siervo sumiso
de la autocracia.
“Desde tiempo inmemorial es costumbre en las iglesias
cismáticas griegas limitar la predicación y evitar las discusiones teológicas,
a fin de mejor contentar a su doble autoridad política y religiosa. Asimismo se
han cortado sin demora todos los intentos de polemizar acerca de las
diferencias entre Roma y Bizancio, prefiriendo silenciar las cuestiones
principales de desacuerdo para perpetuar la disensión gracias a la ignorancia.
Los mismos cursos de religión que se dan para ambos sexos en algunos centros
docentes, al estilo de como lo hacen los jesuitas, son meramente tolerados como
lo prueba el hecho de que algunas veces se ha dado la orden de suprimirlos.
Aunque parezca increíble, en los planes de enseñanza rusos no figura la
asignatura de religión, de donde resulta que florecen un gran número de sectas
cuya existencia es difícil de descubrir porque el gobierno tiene especial
interés en ocultarlas.
Hay sectas de éstas que permiten la poligamia, otras,
más avanzadas aún, admiten la comunidad entre hombres y mujeres. A los clérigos
les está prohibido escribir aunque sean simples relatos. En la interpretación
que hacen de la Biblia es frecuente que un simple campesino, tomando
aisladamente un pasaje del libro santo, lo interprete erróneamente originándose
así una herejía, de sabor calvinista la mayoría de las veces. Cuando el pope
del lugar se da cuenta de ello, la herejía se ha propalado por la feligresía y
territorios circunvecinos. Favorecidos por la ignorancia del ambiente, si el
pope denuncia el hecho, los apóstatas son enviados prontamente a Siberia, a no
ser que el castigo signifique algún perjuicio para el señor de las tierras, en
cuyo caso éste cuidará de hacer callar al pope utilizando todos cuantos medios
persuasivos estén a su alcance. Sucede a veces que a pesar de todas las
precauciones la herejía ha hecho tantos progresos que no puede pasar
inadvertida por las autoridades superiores; entonces, ante la imposibilidad de
castigar un tan gran número de prosélitos, se considera más hacedero dejar las
cosas como están. La violencia —piensan— podría empeorar el mal en lugar de
ahogarlo; la discusión podría ser contraproducente abriendo los ojos de la
gente y, para los gobernantes déspotas, éste es el peligro mayor y el peor de
los males. Se opta, pues, por el silencio y la pasividad, con tal de esconder
la realidad aún a riesgo de empeorar el estado de cosas en lugar de remediarlo.
¡Por las discusiones religiosas perecerá el imperio
ruso; los que nos envidian la fortaleza de nuestra fe nos juzgan sin
conocernos!”
¿Cuál ha sido la compensación obtenida por el pope
ruso, a cambio de su abdicación, en el seno de la sociedad más supersticiosa
del mundo? De una parte ha visto prodigarse a su presencia los signos
exteriores de la devoción de los fieles, como persignarse por cualquier motivo,
hacer genuflexiones ante los altares, prosternarse las devotas sobre las losas
de los templos, acudir prontamente a besamanos… Además de todo esto, ha podido
tener una mujer y unos hijos. En contra… ha merecido el desprecio de todos. ¡Qué
lección!… ¡Qué castigo!… Es asombroso comprobar que en medio del triunfo de su
causa, el clérigo cismático se ha visto aquejado de esterilidad. Es lo que
acostumbra a suceder cuando el poder religioso quiere acaparar el poder
temporal, es decir, ha de sucumbir colectivamente falto de horizonte más amplio
para seguir las rutas abiertas por Dios, de la misma manera que sucumbe
individualmente el sacerdote que se somete al poder civil falto de valor para
marchar por aquella vía, víctimas unos y otros de la carencia de su augusta
vocación.
La situación de la Iglesia ortodoxa rusa tal como la
puedo juzgar es la de una confesión que nadie combate y que, en apariencia al
menos, todo el mundo respeta; una Iglesia favorecida en el ejercicio de su
autoridad moral y que no obstante tiene escasa influencia sobre las
conciencias, incapaz de formar otra cosa que hipócritas o supersticiosos. Una
religión de esta índole no es más que una cosa muerta aunque, a juzgar por lo
que pasa en Polonia, puede tener arrestos persecutorios. Carente de grandes
virtudes, de elevadas inteligencias, la iglesia rusa se resiente, en una
palabra, de aquella libertad sin la cual la vitalidad flaquea y las luces se
apagan.
Recopilación y traducción de Joaquim de Camps i Arboix


