viernes, 20 de julio de 2012

Charles Baudelaire y Ulyses Petit de Murat



À UNE PASSANTE

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

A LA QUE PASA

La avenida estridente en torno de mí aullaba.
Alta, esbelta, de luto, en pena majestuosa,
Pasó aquella muchacha. Con su mano fastuosa
Casi apartó las puntas del velo que llevaba.

Ágil y ennoblecida por sus piernas de diosa,
Me hizo beber crispado, en un gesto demente,
En sus ojos el cielo y el huracán latente;
El dulzor que fascina y el placer que destroza.
  
Relámpago en tinieblas, fugitiva belleza,
Por tu brusca mirada me siento renacido.
¿Volveré acaso a verte? ¿Serás eterno olvido?

¿Jamás, lejos, mañana?, pregunto con tristeza.
Nunca estaremos juntos. Ignoro adónde irías.
Sé que te hubiera amado. Tú también lo sabías.

L'ALBATROS


Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.


EL ALBATROS

Por divertirse a veces suelen los marineros
Cazar a los albatros, aves de envergadura,
Que siguen, en su rumbo indolentes viajeros,
Al barco que se mece sobre la amarga hondura.

Apenas son echados en la cubierta ardiente,
Esos reyes del cielo, torpes y avergonzados,
Sus grandes alas blancas abaten tristemente
Como remos que arrastran a sus cuerpos pegados.

¡Este viajero alado, oh qué inseguro y chico!
¡Hace poco tan bello, qué débil y grotesco!
¡Uno con una pipa le ha chamuscado el pico,
Imita otro su vuelo con renqueo burlesco!.

El Poeta es semejante al príncipe del cielo
Que puede huir las flechas y el rayo frecuentar;
Entre mofas y risas exiliado en el suelo,
Sus alas de gigante le impiden caminar.

L'HOMME ET LA MER

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !


EL HOMBRE Y LA MAR

¡Para siempre, hombre libre, a la mar tu amarás!
Es tu espejo la mar; mira, contempla tu alma
En el vaivén sin fin de su oleada calma,
Y tan hondo tu espíritu y amargo sentirás.

Sumergirte en el fondo de tu imagen te dejas;
Con tus ojos y brazos la estrechas, y tu ardor
Se distrae por momentos de su propio rumor
Al salvaje e indomable resonar de sus quejas.

Oscuros a la vez ambos sois y discretos:
Hombre, nadie sondeó el fondo de tus simas,
Tus íntimas riquezas, oh mar, a nadie arrimas,
¡Con tan celoso afán calláis vuestros secretos!.

Y en tanto van pasando los siglos incontables
Sin piedad ni aflicción vosotros os sitiáis,
De tal modo la muerte y la matanza amáis,
¡Oh eternos combatientes, oh hermanos implacables!

RECUEILLEMENT


Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.


RECOGIMIENTO

Cálmate, dolor mío, y tu angustia serena.
Anhelabas la noche. Ya desciende. Aquí está.
Una atmósfera oscura cubre a París. Traerá
A unos cuantos la paz, a otros muchos la pena.

Mientras la muchedumbre que se rinde al placer
Su verdugo inclemente por las calles anhela
Cazar remordimientos bajo la fiesta en vela,
Tú, dolor, ven a mí. Dame la mano al ver

Que es posible escaparse de los ya muertos años
Con sus antiguos trajes en el balcón celeste.
Ya brotan, como salen del mar, los desengaños,

Cuando el sol, bajo un arco, se muere en lontananza.
Ahora, tal un sudario que desciende del este.
Observa, mi dolor: la inmensa noche avanza.

QUE DIRAS-TU CE SOIR; PAUVRE ÂME SOLITAIRE

Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois flétri,
A la très-belle, à la très-bonne, à la très-chère,
Dont le regard divin t'a soudain refleuri ?

- Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges :
Rien ne vaut la douceur de son autorité ;
Sa chair spirituelle a le parfum des Anges,
Et son oeil nous revêt d'un habit de clarté.

Que ce soit dans la nuit et dans la solitude,
Que ce soit dans la rue et dans la multitude,
Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau.

Parfois il parle et dit : " Je suis belle, et j'ordonne
Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau ;
Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone. "


¿QUÉ DIRÁS ESTA NOCHE, POBRE ALMA SOLITARIA?

¿Qué dirás esta noche, pobre alma solitaria?
¿Qué dirás, corazón marchito hace tan poco,
A la bella, a la buena, a la adorada
Bajo cuya mirada floreciste de nuevo?

El orgullo emplearemos en cantar sus alabanzas;
Nada iguala el encanto de su poder sobre ti,
Su carne espiritual tiene divino perfume,
Y nos visten con purísimas ropas sus ojos.
  
En medio de la noche y de la soledad,
O a través las calles, de gentío rodeado,
Danza como una antorcha su fantasma en el aire.

A veces habla y dice: "Yo soy la bella y ordeno
Que, por amor a mí, no améis sino lo bello;
Soy el ángel guardián, la Musa y la Madona".

ENIVREZ-VOUS !

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez vous.

Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront :

"Il est l'heure de s'enivrer !

Pour n'être pas les esclaves martyrisés du temps, enivrez vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."


EMBRIÁGUENSE

Hay que estar ebrio siempre. Todo reside en eso: ésta es la única cuestión. Para no sentir el horrible peso del Tiempo que nos rompe las espaldas y nos hace inclinar hacia la tierra, hay que embriagarse sin descanso. Pero, ¿de qué? De vino, de poesía o de virtud, como mejor les parezca. Pero embriáguense.

Y si a veces, sobre las gradas de un palacio, sobre la verde hierba de una zanja, en la soledad huraña de su cuarto, la ebriedad ya atenuada o desaparecida ustedes se despiertan pregunten al viento, a la ola, a la estrella, al pájaro, al reloj, a todo lo que huye, a todo lo que gime, a todo lo que rueda, a todo lo que canta, a todo lo que habla, pregúntenle qué hora es; y el viento, la ola, la estrella, el pájaro, el reloj, contestarán:

“¡Es hora de embriagarse!

Para no ser los esclavos martirizados del Tiempo, ¡embriáguense, embriáguense sin cesar! De vino, de poesía o de virtud, como mejor les parezca.