M. LÉON BLOY
C'est
derrière Montmartre, dans un quartier de solitude et de misère, que s'est
réfugié l'auteur du Désespéré. Pauvre,
il vit au milieu des pauvres, qu'il chérit comme l'image vivante de
Jésus-Christ. Son existence tourmentée connaît ici une halte bienfaisante.
Entre sa femme et ses filles, il poursuit son labeur ingrat, son œuvre pleine
de malédictions, de colères et d'espérances infinies.
M.
Léon Bloy est le dernier des prophètes. Il a l'âme farouche et simple des nabis de l'antique Judée. Chacun de ses
livres est un cri de foi, où l'on sent trembler et vivre son cœur. Du Mendiant Ingrat à la Femme pauvre, la même exaltation
douloureuse, les mêmes fureurs, les mêmes évocations tragiques sont la
nourriture de ce génie amer et désolé.
Debout
sur le seuil de sa porte, il nous regarde venir vers lui. Et, dès les premières
paroles, l'amertume de sa destinée lui monte aux lèvres:
«Vous
venez me voir? Mais ne savez-vous pas que je suis un homme dangereux, qu'il ne
faut pas approcher?»
Nous
pénétrons cependant dans la petite pièce, toute simple, qui lui sert de cabinet
de travail. Pendant un instant, ses yeux seuls nous interrogent, et il y a
entre nous quelques minutes de silence. Cet écrivain violent a le regard doux
et ingénu d'un bon pasteur; mais les angles de son visage révèlent une volonté vigoureuse.
Ses jugements sont tranchants el durs, et il les formule avec passion:
«D'écoles
littéraires, il n'y en a pas. La dernière école a été celle de Zola, et il n'y
a rien eu depuis.
»D'ailleurs,
les écoles ne peuvent que tuer l'art. Je nie l'utilité des écoles.
»Il
est bien difficile de distinguer des tendances dans la littérature présente. On
parle de la tendance catholique. Mais Huysmans, c'est moi qui l'ai fait, qui
l'ai pondu. J'ai passé six ans de ma vie à catéchiser Huysmans. J'ai écrit les Dernières Colonnes de l'Église. Eh!
bien, si j'ai fait ce livre, c'est parce que ma conscience y était intéressée.
On me disait: «Personne n'élève la voix. Voilà Huysmans Père de l'Eglise.
Bourget, Brunetière, Coppée, les voilà, les colonnes de l'Eglise!» Alors, j'ai
fait ce livre. J'ai parlé, parce que j'ai compris que si je ne parlais pas,
personne ne parlerait.
»J'ai
vu des prêtres qui croyaient que Coppée est un grand chrétien. C'est épatant!
Et ce pauvre Huysmans, qui ne sait même pas le catéchisme! J'ai relevé, dans un
de mes livres, qu'il ne savait pas ce qu'est l'Immaculée Conception, qu'il
confond avec le dogme de l'Incarnation. Et cela par ignorance des participes
passés. Les textes saints disent: « Marie
conçue sans péché... » Les cordonniers comprennent: « Marie conçut... » Huysmans en est là!... Comme
Zola!»
M.
Léon Bloy eut une moue de mépris. Puis il se pencha vers nous, et continua:
«De
tendances littéraires, il n'y en a point. Chacun cherche le succès. Où va
Lavedan? Où va un homme comme Lavedan? Vers l'accumulation des pièces de vingt
francs. Il ne peut que chercher le succès, par les moyens les plus connus.
— Et le roman ?
— Des romans? Il n'y en a
point. Il n'y a que des romans-feuilletons. Un jour, Rictus — le seul poète de génie
de notre époque — m'a dit: «Il y a un romancier que je vais vous faire lire.»
Et il m'a prêté Bubu de Montparnasse,
de Charles-Louis Philippe. Ce livre m'a beaucoup étonné. Cet écrivain n'a pas
de talent, il a presque du génie. Du génie dans l'expression. C'est un homme
tout à fait remarquable.
»On
m’a parlé de Mme de Noailles. Ce que j'en ai lu, eh! bien, vraiment,
c'est rien du tout. D'ailleurs, il y a une loi pour moi: Tout livre où il n'est
pas parlé du pauvre, où on ne tient pas compte du pauvre, est un livre à
cracher dessus.
»Pour
ma part, j'ai en projet un livre — qui sera mon prochain livre — sur l'Argent.
»Je
suis nourri de l'Ecriture sainte, et de l'exégèse biblique. C'est mon fonds,
mon vrai fonds. J'ai passé dix ans de ma vie à étudier le symbolisme scripturaire.
Dans mes livres, vous trouverez cette préoccupation constante de la réalité divine
exprimée par un symbole, n'importe où. C'est ainsi que je considère l'Argent
comme le symbole de Dieu.
»Jésus
a promis à ses apôtres qu'ils seront les juges de la terre. Mais, parmi ces
apôtres, il y avait Judas. Judas n'a pas cessé d'être un apôtre. Il est devenu le
mauvais apôtre, mais il est resté un apôtre. Il est donc de ceux qui jugeront
la terre. Et alors, de qui Judas sera-t-il juge? Voilà la question.
»Il
sera le juge de ceux qui n'auront pas rendu l'argent, parce que lui, Judas, a
rendu l'argent. Il sera donc le juge de ceux qui crèvent sur leurs rentes.
»Ah!
les milliardaires! Concevez-vous ce que sera l'agonie de ces hommes qui devront
expier chaque parcelle de leur homicide richesse et qui verront, à l'heure de
la mort, s'avancer sur eux cette montagne de tourments? On est pénétré de
compassion pour ces monstres, comme Pierpont-Morgan, qui ont gagné tant d'or,
alors que Judas, en vendant le sang du Christ, n'avait gagné que trente
deniers.
»Tout
homme qui s'enrichit vend le Christ. On ne peut être riche qu'en vendant le
corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et c'est pour cela que
Jésus-Christ a prononcé cette parole terrible: Vae divitibus !
»Je
vais donc faire ce livre dans une volonté absolue de malédiction et
d'exécration pour les riches. »
Deux
enfants entrèrent. La colère flamboyante de M. Léon Bloy s'apaisa soudain. II
sourit:
«Ce
sont mes deux filles, Véronique et Madeleine. Je leur ai dédié le Mendiant ingrat.»
Nous
demandâmes : «Que pensez-vous de la critique ?
—
La critique? Il n'y en a pas. Autrefois, il y avait un critique dans chaque
journal. Maintenant ça n'existe plus. Il n'y a absolument plus de critique.
»Savez-vous
ce qu'un Belge disait de moi, dans un article récent? Que je suis rongé
d'envie, que je meurs de désespoir de n'avoir pas de décorations, et que si on
me donnait quelques honneurs on verrait tomber mon hostilité contre les
riches...»
M.
Léon Bloy éclata d'un rire bruyant. Il attira à lui un cahier, qu'il feuilleta:
«Tenez,
dit-il, voici une note: «Tout homme, en venant au monde, apporte avec lui son
principe de mort. Et cela est absolu. Il y en a qui naissent avec une cheminée
sur la tête ou un boulet de canon en pleine poitrine. On naît avec toute sa
destinée. »
Le
cahier se referma, et M. Léon Bloy, d'un ton plus familier, nous confia
quelques-unes de ses rancœurs:
«Il
y a cependant une chose que j'ai mal digérée: j'ai fait Sueur de sang, dont personne ne parle,
et les Marguerite sont les seuls qui aient le droit d'écrire sur la guerre de
1870! Cela, je le digère très mal. En dehors de la supériorité du talent sur
ces gens-là, qui se mettent à quatre pattes pour écrire un livre, moi, j'ai
fait cette guerre et j'ai pu sentir des choses dont ils n'ont aucune idée...
»...
J'aime les études d'histoire. En dehors de la Bible, je lis l'histoire du
Bas-Empire, et aussi l'histoire de Napoléon. Je veux faire un livre sur ce
sujet. Je me suis mis en relations avec Ilenri Houssaye. J'ai aussi écrit
plusieurs fois à Frédéric Masson: mais celui-là ne m'a jamais répondu.»
Et,
sur cette dernière amertume, M. Léon Bloy nous tendit la main.
La littérature contemporaine (Mercure de France, Paris, 1905)
Georges Le Cardonnel et Charles Vellay.
Georges Le Cardonnel et Charles Vellay.
ENTREVISTA A LÉON BLOY
Es detrás de Montmartre, en un barrio
de soledad y de miseria, donde ha ido a refugiarse el autor de El desesperado.
Pobre, vive en medio de los pobres, a los que ama como la imagen viviente de
Jesucristo. Su existencia atormentada tiene aquí una tregua bienhechora. Entre
su mujer y sus hijas, prosigue su labor ingrata, su obra llena de maldiciones,
de cóleras y de esperanzas infinitas.
Léon Bloy es el último de los
profetas. Tiene el alma salvaje y simple
de los nabis de la antigua Judea.
Cada uno de sus libros es un grito de fe, donde sentimos temblar y vivir su corazón.
De El mendigo ingrato a La mujer pobre, la misma exaltación dolorosa, los
mismos furores, las mismas evocaciones trágicas son el alimento de este genio amargo
y desolado.
De pie en el umbral de su puerta,
nos mira llegar hasta él. Y ya desde las primeras palabras, la amargura de su
destino le sube a los labios:
“¿Vienen a verme? Pero, ¿no saben
que soy un hombre peligroso, al que no hay que acercarse?”
Entramos, sin embargo, en la
pequeña habitación, muy sencilla, que le sirve de cuarto de trabajo. Durante un
momento, sólo sus ojos nos interrogan, y hay entre nosotros unos minutos de
silencio.
Este escritor violento tiene la
mirada dulce e ingenua de un buen pastor; pero los ángulos de su rostro revelan
una voluntad vigorosa. Sus juicios son cortantes y duros, y los formula con
pasión:
“No existen escuelas literarias.
La última escuela fue la de Zola, y después no hubo nada más.
“Por lo demás, las escuelas sólo
pueden matar el arte. Yo niego la utilidad de las escuelas.
“Es muy difícil distinguir
tendencias en la literatura actual. Se habla de la tendencia católica. Pero soy
yo el que lo creó a Huysmans, el que lo parió. He pasado seis años de mi vida
catequizando a Huysmans. He escrito Las últimas columnas de la Iglesia. Pues
bien, si hice ese libro es porque mi conciencia tenía interés en ello. Me
decían: ‘Nadie alza la voz. Han hecho de Huysmans un Padre de la Iglesia.
Bourget, Brunetière, Coppée, ¡ésas son las columnas de la Iglesia!’ Entonces hice
ese libro. Hablé porque comprendía que, si yo no hablaba, nadie hablaría.
“He visto a sacerdotes que creían
que Coppée era un gran cristiano. ¡Es algo asombroso! ¡Y ese pobre Huysmans, que
ni siquiera sabe el catecismo! He señalado, en uno de mis libros, que no sabía
lo que es la Inmaculada Concepción, que él confunde con el dogma de la
Encarnación. Y eso, por ignorancia de los participios pasados. Los textos
sagrados dicen: ‘María concebida sin pecado…’ Los zapateros remendones comprenden: "María concibió..." ¡Huysmans
comete el mismo error… como Zola!”
Léon Bloy hizo una mueca de
desprecio. Luego se inclinó hacia nosotros y continuó:
“No existe ninguna tendencia
literaria. Todos buscan el éxito. ¿A dónde va Lavedan? ¿A dónde va un hombre
como Lavedan? Hacia la acumulación de las monedas de veinte francos. Lo único que
puede hacer es buscar el éxito por los medios más conocidos.
—¿Y la novela?
—¿Novelas? No las hay. No hay más
que folletines. Un día, Rictus —el único poeta de genio de nuestra época— me
dijo: ‘Hay un novelista que le voy a leer’. Y me prestó Bubú de Montparnasse, de Charles-Louis Philippe. Ese libro me sorprendió
muchísimo. Este escritor no tiene talento, casi tiene genio. Genio en la
expresión. Es un hombre totalmente notable.
“Me han hablado de la señora de
Noailles. Lo que he leído de ella, ¡pues, bien!, es del todo insignificante. Por
otra parte, para mí existe una ley: todo libro en el que no se habla del pobre,
en el que no se tiene en cuenta al pobre, es un libro sobre el que hay que escupir.
“Por mi parte, proyecto un libro
—que será mi próximo libro— sobre el Dinero.
“Estoy nutrido de la Santa
Escritura y de la exégesis bíblica. Es
mi capital, mi verdadero capital. Me he pasado diez años de vida
estudiando el simbolismo de la Escritura. En mis libros, ustedes encontrarán
esa preocupación constante por la realidad divina expresada por medio de un
símbolo, en todas partes. Así es como considero el Dinero como el símbolo de
Dios.
“Jesús prometió a sus apóstoles que
serían los jueces de la tierra. Pero entre aquellos apóstoles estaba Judas.
Judas no dejó de ser un apóstol. Se convirtió en el mal apóstol, pero siguió
siendo un apóstol. Es, pues, uno de los que juzgarán a la tierra. Y entonces,
¿de quién será juez Judas? Ésta es la pregunta.
“Será el juez de aquellos que no
hayan devuelto el dinero, porque él, Judas, devolvió el dinero. Será, pues, el
juez de los que revientan con las rentas que tienen.
“¡Ah, los millonarios! ¿Imaginan
ustedes lo que será la agonía de esos hombres que tendrán que expiar cada fragmento
de su homicida riqueza, y que verán, en la hora de la muerte, ir hacia ellos
esa montaña de tormentos? Uno se siente lleno de compasión por esos monstruos,
como Pierpont-Morgan, que han ganado tanto oro, mientras que Judas, al vender
la sangre de Cristo, sólo ganó treinta denarios.
“Todo hombre que se enriquece
vende a Cristo. Sólo se puede ser rico vendiendo el cuerpo y la sangre de
Nuestro Señor Jesucristo. Y es por eso que Jesucristo pronunció estas palabras
terribles: ¡Vae divitibus!
“Yo voy, pues, a hacer ese libro
con una voluntad absoluta de maldición y de execración por los ricos.”
Entraron dos niñas. La ira flamígera
de Léon Bloy se calmó súbitamente. Dijo sonriendo:
“Son mis dos hijas, Véronique y
Madeleine. Les ha dedicado El mendigo ingrato”.
Le preguntamos:
“—¿Qué piensa usted de la
crítica?
—¿La crítica? No existe. Antes
había un crítico en cada diario. Ahora eso ya no existe. Ya no hay ninguna
clase de crítica.
“¿Saben lo que decía un belga de
mí en un artículo reciente? Que me roe la envidia, que me muero de desesperación
por no recibir condecoraciones, y que si me concedieran algunos honores se
vería cómo se viene abajo mi hostilidad contra los ricos…”
Léon Bloy largó una sonora
carcajada. Alargó la mano hacia un cuaderno y se puso a hojearlo:
“Miren —dijo—, aquí hay una nota:
‘Cada hombre, al llegar al mundo, trae consigo su principio de muerte. Y esto
es algo absoluto. Algunos nacen con una chimenea encima de la cabeza o una bala
de cañón en pleno pecho. Uno nace con todo su destino.”
El cuaderno se cerró y Léon Bloy,
en un tono más familiar, nos confesó algunos de sus rencores:
“Hay sin embargo algo que no he
logrado tragar: hice Sudor de sangre,
del que nadie habla, y los Margueritte son los únicos que tienen derecho a
escribir sobre la guerra de 1870. Eso es algo que me cuesta tragar. Fuera de mi
talento, superior al de esa gente que se pone en cuatro patas para escribir un
libro, yo fui soldado en esa guerra y pude sentir cosas de las que ellos no
tienen idea alguna…
“…Me gustan los estudios de
historia. Fuera de la Biblia, leo la historia del Bajo Imperio y también la
historia de Napoleón. Quiero hacer un libro sobre este tema. Me he puesto en
contacto con Henry Houssaye. También le he escrito varias veces a Frédéric
Masson: pero éste nunca me ha respondido.”
Y, con esta última observación
amarga, Léon Bloy nos tendió la mano.
La littérature contemporaine (Mercure de France, Paris, 1905)
Georges Le Cardonnel et Charles Vellay.
Traducción para Literatura & Traducciones de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán