sábado, 14 de noviembre de 2009

René Daumal: Memorables


MÉMORABLES


Souviens-toi: de ta mère et de ton père, et de ton premier mensonge, dont l'indiscrète odeur rampe dans ta mémoire.

Souviens-toi de ta première insulte à ceux qui te firent: la graine de l'orgueil était semée, la cassure luisait, rompant la nuit une.

Souviens-toi des soirs de terreur où la pensée du néant te griffait au ventre, et revenait toujours te le ronger, comme un vautour; et souviens-toi des matins de soleil dans la chambre.

Souviens-toi de la nuit de délivrance, où, ton corps dénoué tombant comme une voile, tu respiras un peu de l'air incorruptible; et souviens-toi des animaux gluants qui t'ont repris.

Souviens-toi des magies, des poisons et des rêves tenaces; — tu voulais voir, tu bouchais tes deux yeux pour voir, sans savoir ouvrir l'autre.

Souviens-toi de tes complices et de vos tromperies, et de ce grand désir de sortir de la cage.

Souviens-toi du jour où tu crevas la toile et fus pris vivant, fixé sur place dans le vacarme des vacarme des roues de roues tournant sans tourner, toi dedans, happé toujours par le même moment immobile, répété, répété, et le temps ne faisait qu'un tour, tout tournait en trois sens innombrables, le temps se bouclait à rebours, — et les yeux de chair ne voyaient qu'un rêve, il n'existait que le silence dévorant, les mots étaient des peaux séchées, et le bruit, le oui, le bruit, le non, le hurlement visible et noir de la machine te niait, — et le cris silencieux "je suis" que l'os entend, dont la pierre meurt, dont croit mourir ce qui ne fut jamais, — et tu ne renaissais à chaque instant que pour être nié par le grand cercle sans bornes, tout pur, tout centre, pur sauf toi.

Et souviens-toi des jours qui suivirent, quand tu marchais comme un cadavre ensorcelé, avec la certitude d'être mangé par l'infini, d'être annulé par le seul existant Absurde.

Et surtout souviens-toi du jour où tu voulus tout jeter, n'importe comment, — mais un gardien veillait dans ta nuit, il veillait quand tu rêvais, il te fit toucher ta chair, il te fit souvenir des tiens, il te fis ramasser tes loques, — souviens-toi de ton gardien.

Souviens-toi du beau mirage des concepts, et des mots émouvants, palais de miroirs bâti dans une cave; et souviens-toi de l'homme qui vint, qui cassa tout, qui te pris de sa rude main, te tira de tes rêves, et fit asseoir dans les épines du plein jour; et souviens-toi que tu ne sais te souvenir.

Souviens-toi que tout se paie, souviens-toi de ton bonheur, mais quand fut écrasé ton cœur, il était trop tard pour payer d'avance.

Souviens-toi de l'ami qui tendait sa raison pour recueillir tes larmes, jaillies de la source gelée que violait le soleil de printemps.

Souviens-toi que l'amour triompha quand elle et toi vous sûtes vous soumettre à son feu jaloux, priant de mourir dans la même flamme.

Mais souviens-toi qu'amour n'est de personne, qu'en ton cœur de chair n'est personne, que le soleil n'est à personne, rougis en regardant le bourbier de ton cœur.

Souviens-toi des matins où la grâce était comme un bâton brandi, qui te menait, soumis, par tes journées, — heureux le bétail sous le joug!

Et souviens-toi que ta pauvre mémoire entre ses doigts gourds laissa filer le poisson d'or.

Souviens-toi de ceux qui te disent: souviens-toi, — souviens-toi de la voix qui te disait: ne tombe pas, — et souviens-toi du plaisir douteux de la chute.

Souviens-toi, pauvre mémoire mienne, des deux faces de la médaille, — et de son métal unique.




MEMORABLES
Acuérdate de tu padre y de tu madre, y de la primera mentira cuyo olor indiscreto aún repta en tu memoria.

Acuérdate del primer insulto a aquellos que te hicieron: la semilla de la soberbia sembrada estaba, la rotura brillaba rompiendo la noche una.

Acuérdate de las noches de terror en las que la idea de la nada te arañaba el vientre y volvía a roerte, como un buitre, una y otra vez; y acuérdate de las mañanas soleadas en tu habitación.

Acuérdate de la noche de la liberación en que, al caer como un velo tu cuerpo desnudo, respiraste un momento el aire incorruptible; y acuérdate de los animales pegajosos que volvieron a apoderarse de ti.

Acuérdate de las magias, de los venenos y de los sueños tenaces; — querías ver, para ver cerrabas los dos ojos, sin saber cómo abrir el otro.

Acuérdate de tus cómplices y de vuestros engaños, y de ese gran deseo de salir de la jaula.

Acuérdate del día en que rompiste la tela y en el que, vivo, fuiste hecho prisionero, detenido allí mismo en medio del estrépito de los estrépitos de las ruedas de ruedas girando sin girar, tú en el interior, siempre atrapado por el mismo momento inmóvil, repetido, repetido, y el tiempo daba solamente una vuelta, todo giraba en tres sentidos innombrables, el tiempo sobre sí mismo se cerraba; y los ojos de carne veían sólo un sueño, sólo existía un devorador silencio, las palabras eran como cueros secos, y el ruido, el sí, el ruido, el no, el ahullido visible y negro de la máquina te negaba — y el grito silencioso "existo" que oyen los huesos, que hace morir la piedra, del que cree morir lo que nunca ha existido, — y a cada instante volvías a nacer sólo para ser negado por el gran círculo sin límites, por entero puro, por entero centro, puro salvo tú mismo.

Y acuérdate de los días que siguieron, cuando caminabas como un cadáver embrujado, con la certeza de ser comido por lo infinito, de ser anulado por el único existente Absurdo.

Y sobre todo acuérdate del día en que quisiste tirarlo todo, sin importar el cómo, — pero un guardián velaba en la noche, velaba mientras soñabas, él hizo que tocaras tu carne, hizo que recordaras a los tuyos, hizo que recogieras tus harapos, — acuérdate de tu guardián.

Acuérdate del hermoso espejismo de los conceptos y de las palabras emocionantes, palacio de espejos edificado en un sótano; y acuérdate del hombre que vino, rompió todo, te tomó con su áspera mano, te arrancó de tus sueños e hizo que te sentaras en las espinas del pleno día; y acuérdate que tú no sabes acordarte.

Acuérdate de que todo se paga, acuérdate de tu felicidad; pero cuando fue aplastado tu corazón era ya demasiado tarde para pagar por anticipado.

Acuérdate del amigo que tendía su razón a fin de recoger tus lágrimas brotadas de la fuente helada a la que violaba el sol primaveral.

Acuérdate de que el amor triunfó cuando ambos supisteis someteros a su fuego celoso, rogando morir en la misma llama.

Pero acuérdate de que amor no es de nadie, de que en tu corazón de carne no hay nadie, de que el sol no es de nadie, ruborízate al contemplar el lodo de tu corazón.

Acuérdate de las mañanas en las que la gracia era como un bastón que alguien empuña, que te llevaba, sumiso, a través de tus jornadas, —¡feliz el ganado bajo el yugo!

Y acuérdate de que tu pobre memoria entre sus dedos torpes dejó que el pez de oro se perdiese.

Acuérdate de quienes te dicen: acuérdate, acuérdate de la voz que te decía: no caigas, —y acuérdate del placer dudoso de la caída.


Acuérdate, pobre memoria mía, de las dos caras de la medalla, —y de su metal único.


Traducción de Miguel Ángel Frontán.

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