miércoles, 22 de enero de 2025

Charles Baudelaire: Poemas en prosa X. A la una de la madrugada

À ARSÈNE HOUSSAYE 

Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superfine. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l’espérance que quelques-uns de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j’ose vous dédier le serpent tout entier.

J’ai une petite confession à vous faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit, d’Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux ?) que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.

Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. Vous-même, mon cher ami, n’avez-vous pas tenté de traduire en une chanson le cri strident du Vitrier, et d’exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que ce cri envoie jusqu’aux mansardes, à travers les plus hautes brumes de la rue ?

Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m’ait pas porté bonheur. Sitôt que j’eus commencé le travail, je m’aperçus que non-seulement je restais bien loin de mon mystérieux et brillant modèle, mais encore que je faisais quelque chose (si cela peut s’appeler quelque chose) de singulièrement différent, accident dont tout autre que moi s’enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu’humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus grand honneur du poëte d’accomplir juste ce qu’il a projeté de faire.

Votre bien affectionné,

C. B.

A ARSÈNE HOUSSAYE

Mi querido amigo, le envío una pequeña obra, de la cual no se podría decir, sin injusticia, que no tiene ni pies ni cabeza, puesto que, al contrario, todo en ella es, al mismo tiempo, cabeza y pies, alternativa y recíprocamente. Considere, se lo ruego, qué admirables comodidades esta combinación nos ofrece a todos, a usted, a mí y al lector. Podemos cortar dónde queramos, yo mi ensoñación, usted el manuscrito, el lector la lectura; porque no dejo que la esquiva voluntad de éste quede pendiendo del hilo interminable de una intriga sutilísima. Saque usted una vértebra, y las dos partes de esta tortuosa fantasía volverán a juntarse sin esfuerzo. Despedácela en numerosos fragmentos, y verá que cada uno puede existir por separado. Con la esperanza de que algunos de estos trozos estarán lo bastante vivos para darle placer y entretenimiento, me atrevo a dedicarle la serpiente completa.

Tengo que hacerle una pequeña confesión. Hojeando, por vigésima vez al menos, el famoso Gaspar de la Noche, de Aloysius Bertrand (¿un libro que usted y yo, y algunos de nuestros amigos, conocemos no tiene todo el derecho a ser llamado famoso?), se me ocurrió la idea de intentar algo análogo, y de aplicar a la descripción de la vida moderna o, más bien, de una vida moderna y más abstracta, el procedimiento que él había aplicado a la pintura de la vida antigua, tan extrañamente pintoresca.

¿Quién de nosotros no ha soñado, en sus días de ambición, con el milagro de una prosa poética, musical sin ritmo y sin rima, lo bastante flexible y lo bastante abrupta como para adaptarse a los movimientos líricos del alma, a las ondulaciones de la ensoñación, a los sobresaltos de la conciencia?

Es sobre todo de la frecuentación de las ciudades inmensas, del entrecruzamiento de sus innumerables relaciones, que nace ese ideal obsesivo. Usted mismo, mi querido amigo, ¿no ha intentado mostrar en una canción el grito estridente del Vidriero, y expresar en una prosa lírica todas las desoladoras sugerencias que ese grito lanza hasta las mansardas, a través de las más altas brumas de la calle?

Pero, para decir la verdad, temo que mi envidia no me haya traído suerte. Apenas comencé el trabajo, me di cuenta de que no sólo me quedaba muy lejos de mi misterioso y brillante modelo, sino incluso que hacía algo (si es que esto puede llamarse algo) singularmente diferente, accidente del cual cualquier otro fuera de mí se enorgullecería quizás, pero que no puede sino humillar profundamente a un espíritu que ve como el más grande honor del poeta realizar únicamente aquello que proyectó hacer.

Suyo muy afectuosamente,

CHARLES BAUDELAIRE 


X

À UNE HEURE DU MATIN

 

Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.

Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! D’abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.

Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la journée : avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l’un m’a demandé si l’on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île) ; avoir disputé généreusement contre le directeur d’une revue, qui à chaque objection répondait : « — C’est ici le parti des honnêtes gens, » ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins ; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues ; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d’acheter des gants ; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m’a prié de lui dessiner un costume de Vénustre ; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m’a dit en me congédiant : « — Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z… ; c’est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons ; » m’être vanté (pourquoi ?) de plusieurs vilaines actions que je n’ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j’ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain ; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle ; ouf ! est-ce bien fini ?

Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise !

 

X

A LA UNA DE LA MADRUGADA

 

¡Al fin! ¡Solo! Ya no se oye más que el rodar de algunos coches de alquiler retrasados y exhaustos. Por unas horas tendremos silencio, si no reposo. ¡Al fin!, la tiranía del rostro humano* ha desaparecido y mis sufrimientos sólo se deberán a mí mismo.

     ¡Al fin! ¡Se me permite, pues, descansar en un baño de tinieblas*! Para empezar, doble vuelta de llave. Me parece que esa vuelta de llave aumentará mi soledad y fortalecerá las barricadas que actualmente me separan del mundo.

     ¡Horrible vida! ¡Horrible ciudad! Repasemos el día: he visto a varios hombres de letras, uno de los cuales me preguntó si se podía ir a Rusia por vía terrestre (sin duda creía que Rusia es una isla); he discutido generosamente con el director de una revista*, que respondía a cada objeción: “Aquí están las personas de bien”, lo que implica que todos los demás periódicos están redactados por pícaros; he saludado a unas veinte personas, quince de las cuales me son desconocidas; he repartido apretones de mano en igual proporción, y sin tomar la precaución de comprarme un par de guantes; he subido durante un chubasco, para matar el tiempo, a casa de una ramera*, que me rogó que le dibujara un traje de Venusa; he adulado a un director de teatro, que me dijo al despedirme: “Quizás usted haría bien en hablar con Z…; es el más lerdo, el más bobo y el más célebre de todos mis autores, con él quizás usted podría lograr algo. Vaya a verlo y luego veremos”; me he vanagloriado (¿por qué?) de varias malas acciones que nunca cometí, y he negado cobardemente algunas otras fechorías que llevé a cabo alegremente, delito de fanfarronería, crimen de respeto humano; le he negado a un amigo un favor fácil, y le he dado una carta de recomendación a un perfecto sinvergüenza; ¡uf!, ¿no habrá nada más?

     Descontento con todos y descontento conmigo mismo, querría por cierto redimirme y enorgullecerme un poco en el silencio y la soledad de la noche. Almas de aquellos que he amado, almas de aquellos que he cantado, fortalézcanme, sosténganme, alejen de mí la mentira y los vapores corruptores del mundo, ¡y tú, Señor Dios mío, concédeme la gracia de producir algunos bellos versos que me demuestren a mí mismo que no soy el peor de los hombres, que no soy inferior a aquellos a los que desprecio!

 

Traducción, para Literatura & Traducciones, de Miguel Ángel Frontán

 

Notas de Massimo Colesanti para su edición en italiano (véase más abajo)

Publicado en La Presse, el 27 de agosto de 1862. Se trata de un clásico “examen de conciencia” vespertino, a yuxtaponer con La Fin de la journée (CXXIV) en Las Flores del Mal, y con L'Examen de minuit, entre los poemas añadidos a la tercera edición. No falta tampoco la oración final a Dios. Sin embargo, mientras se arrepiente de muchas fechorías y se declara disgustado con todo y consigo mismo, Baudelaire reitera muchas de sus aversiones: por los literatos ignorantes, por los directores de periódicos y teatros, por la hipocresía y la mentira de las relaciones humanos, etc. Un balance infructuoso de un día, que sólo la “gracia” de poder seguir haciendo bellos versos, de sentirse superior a los que desprecia, puede compensar.

1. la tyrannie de la face humaine: es una expresión de De Quincey, que Baudelaire había traducido y comentado en Un mangeur d'opium.

2. Véase especialmente el último verso de La Fin de la journée: “¡Oh rafraîchissantes ténèbres!”.

3. Para la aversión de Baudelaire por los redactores de periódicos y revistas, debido evidentemente a recuerdos personales, véase especialmente Mon cœur mis à nu, XXVIII, 50 y XLII, 77. 4.. Cf. Fusées, VII, 10, y XI.

5. sauteuse: el término aquí es equívoco, significa acróbata y bailarina de circo, pero también cortesana, ramera; sin embargo aquí Baudelaire lo utiliza en sentido despectivo.

 

X

One A.M. 

Finally! Alone! No longer hearing anything but the rumble of a few hackneys delayed and exhausted. For several hours we ’ll have silence, if not repose. Finally! the tyranny of the human face has disappeared and from now on my sufferings will be my own.

Finally I’m allowed to relax, bathed in shadows. First, a double turn of the lock. Turning the key seems to me to increase my solitude and raise the barricade that effectively separates me from the world.

Horrible life! Horrible city! Let’s go over my day: having seen some men of letters, one of whom asked me can you go to Russia by land (apparently assuming that Russia is an island); argued at length with the director of a review, who to each of my objections replied, “We ’re all gentlemen here,” as if to say that every other paper is put out by rogues; greeted a couple dozen people, three quarters of whom I didn’t know; shook hands with a like number, without the precaution of gloves; during a rain, to kill time, went to see a lady tumbler who wanted me to design a costume for Vénustre; paid court to a theatre director who, dismissing me, said, “You might do better consulting with Z— —, dullest, stupidest and most famous of my authors, the two of you might come up with something—go see him and then we ’ll talk about it”; bragged (why?) about several nasty things I hadn’t done and denied in cowardly fashion some misdeeds in which I had luxuriated, flagrant braggadocio, offenses to human dignity; refused a friend an easy favor and wrote a recommendation for a perfect skunk; oof! can that be all?

Annoyed by everyone and annoyed with my self, I’d like to be redeemed and gain a little self-respect in the silence and solitude of the night. Souls of those I’ve loved, souls of those I’ve sung, strengthen me, sustain me, take from me the world’s lies and breath of corruption. And you, Lord God, accord me the grace to produce a few beautiful lines, enough to prove to myself that I am not the worst of men, that I am not beneath even those for whom I have such contempt!

 

Translated by KEITH WALDROP 

X

ALL’UNA DEL MATTINO

     Finalmente! Solo! Si sente soltanto la corsa di qualche carrozzetta attardata, sfinita. Per qualche ora il silenzio, se non il riposo, sarà nostro. Finalmente! La tirannia del viso umano è scomparsa; non soffrirò più se non di me stesso.

    Finalmente! Dunque potrò ristorarmi in un bagno di tenebre! Innanzitutto, due giri di chiave alla porta. Mi sembra che questo doppio giro di chiave aumenterà la mia solitudine e rafforzerà le barriere che ora mi separano dal mondo.

    Che vita orribile! Che città orribile! Ricapitoliamo la giornata: visti parecchi letterati; uno mi ha chiesto se è possibile andare in Russia via terra (prendeva certamente la Russia per un’isola); litigato generosamente con il direttore di una rivista che ad ogni obiezione rispondeva: «Questo è il partito dei galantuomini», il che sottintende che tutti gli altri giornali sono redatti da furfanti; salutato una ventina di persone, quindici delle quali mi sono sconosciute; distribuito strette di mano in uguale proporzione, senza aver presa la precauzione di comprarmi dei guanti; fatta una visita, tanto per ammazzare il tempo durante un acquazzone, ad una acrobata che mi ha pregato di disegnarle un costume da Venerustal; corteggiato un direttore di teatro che congedandomi mi ha detto: «Sarebbe bene che vi rivolgeste a Z ... ; è il più pesante, il più stupido e il più celebre dei miei autori; forse con lui combinerete qualcosa. Andate da lui, poi vedremo»; vantatomi (perché?) di parecchie brutte azioni mai commesse e vigliaccamente negate altre canagliate compiute con gioia, delitto di spacconata, crimine di rispetto umano; negato ad un amico un favore facile e data una raccomandazione scritta ad un perfetto mascalzone. Auff! Ho proprio finito?

    Scontento di tutti e scontento di me, vorrei veramente riscattarmi e prendere un po’di orgoglio nel silenzio e nella solitudine della notte. Anime di quelli che ho amato, anime di quelli che ho cantato, sostenetemi, allontanate da me la menzogna e i fumi della corruzione mondana! E voi, Signore mio Dio! Concedetemi la grazia di creare qualche bel verso che dimostri a me stesso che non sono l’ultimo degli uomini, che non sono inferiore a quelli che disprezzo!

 

Traduzione de MASSIMO COLESANTI

miércoles, 15 de enero de 2025

J.R.R. Tolkien: La canción de Merry y Pippin


Farewell we call to hearth and hall!

Though wind may blow and rain may fall,

We must away ere break of day

Far over wood and mountain tall.

 

To Rivendell, where Elves yet dwell

In glades beneath the misty fell,

Through moor and waste we ride in haste,

And whither then we cannot tell.

 

With foes ahead, behind us dread,

Beneath the sky shall be our bed,

Until at last our toil be passed,

Our journey done, our errand sped.

 

We must away! We must away!

We ride before the break of day!

 JOHN RONALD REUEL TOLKIEN


Adiós les decimos al hogar y a la sala.

Aunque sople el viento y caiga la lluvia

hemos de partir antes que amanezca,

lejos, por el bosque y la montaña alta.

 

Rivendel, donde los ellos habitan aún,

en claros al pie de las nieblas del monte,

cruzando páramos y eriales iremos de prisa

y de allí no sabemos a dónde.

 

Delante el enemigo y detrás el terror,

dormiremos bajo el dosel del cielo,

hasta que al fin se acaben las penurias,

el viaje termine y la misión concluya.

 

¡Hay que partir, hay que partir!

¡Saldremos a caballo antes que amanezca!

Versión de FRANCISCO PORRÚA

 

 


Disons adieu au coin du feu !

Par bon vent ou par temps pluvieux,

Avant l’aurore, nous partirons

Par les bois noirs et les monts bleus.

 

Tous à cheval, vers Fendeval

Dessous les cimes colossales,

Nous partirons et trouverons

Notre chemin tant bien que mal.

 

Nous attend devant l’ennemi,

Sous le ciel sera notre lit,

Jusqu’au bout de notre mission,

Notre grand voyage accompli.

 

Il faut partir, alors partons !

Avant l’aurore, nous chevauchons !

Traduit par DANIEL LAUZON

 



Addio al camino e al portoncino!

Tiri il vento o faccia brina,

Via di torno anzi ch’è giorno

Via per boschi e per colline.

 

A Valforra, di Elfi terra,

In piane ove la foschia atterra,

Per landa o steppa al gran galoppo

A una meta che non s’afferra.

 

Dietro l’abietto, l’oste appetto,

Sotto il cielo avremo il letto

Finché il cimento avremo vinto

Ed il dovere nostro fatto.

 

Ma via di torno! Ma via di torno!

Ce ne andiamo anzi ch’è giorno.


Traduzione d’OTTAVIO FATICA

 


lunes, 6 de enero de 2025

Barbey d'Aurevilly: Sobre Las Flores del Mal de Baudelaire

SOBRE LAS FLORES DEL MAL DE BAUDELAIRE


Mi querido Baudelaire,

Le envío el artículo que me pidió, que  por una razón de conveniencia, fácil de entender, no ha podido ser publicado en Le Pays, ya que se trataba de usted. Me alegraría mucho, mi querido amigo, que este artículo influyera un poco en el ánimo de quien lo va a defender y en la opinión de quienes serán llamados a juzgarlo.

Suyo,

Jules Barbey d'Aurevilly

24 de julio de 1857

Partes I y II

III

Esta idea, como ya hemos dicho en todo lo que precede, es el pesimismo más completo. La literatura satánica, que viene ya de lejos, pero que tenía un lado romántico y falso, sólo ha producido cuentos para estremecerse o balbuceos de niño, en comparación con estas realidades espantosas y estos poemas claramente articulados donde la erudición del mal en todas las cosas se mezcla con la ciencia de las palabras y del ritmo. Puesto que para Charles Baudelaire, llamar arte a su hábil manera de escribir versos no sería decir lo suficiente. Es casi un artificio. Espíritu de minuciosa investigación, el autor de Las Flores del mal es un taimado en literatura, y su talento, que es innegable, trabajado, elaborado, complicado con la paciencia de un chino, es en sí mismo una flor del mal de los cálidos invernaderos de una Decadencia. Por su lengua y su estilo, Baudelaire, que saluda a Théophile Gautier como su maestro en el comienzo de su colección, pertenece a esa escuela que cree que todo se pierde, incluso el honor, con la primera rima débil, en la poesía más elevada y vigorosa. Es uno de esos materialistas refinados y ambiciosos que apenas conciben otra cosa que la perfección —la perfección material—, y que a veces saben cómo alcanzarla; pero en lo que concierne la inspiración es mucho más profundo que su escuela, y ha descendido tanto a la sensación, de la que esta escuela nunca sale, que terminó por encontrase solo allí, como un león de la originalidad. Sensualista, pero el más profundo de los sensualistas, y furioso por no ser más que eso, el autor de Las Flores de Mal se adentra en la sensación hasta el límite extremo, hasta esa misteriosa puerta del Infinito con la que se topa, pero que no sabe abrir, y, enfurecido, se vuelve contra el lenguaje y derrama en él su furia. Pensemos en ese lenguaje, aún más plástico que poético, manejado y tallado como el bronce y la piedra, y donde la frase tiene volutas y acanaladuras; pensemos en algo del gótico florido o de la arquitectura morisca aplicada a esa sencilla construcción que tiene un sujeto, un régimen y un verbo; luego, en esas volutas y acanaladuras de una frase que adopta las formas más variadas como lo haría un cristal, supongamos todos los pimientos, todos los alcoholes, todos los venenos, minerales, vegetales, animales, y los más ricos y abundantes, si pudiéramos verlos, que se extraen del corazón del hombre, y tendremos la poesía de Baudelaire, esa poesía siniestra y violenta, desgarradora y asesina, que no se parece a las obras más oscuras de esta época que se siente morir. Es algo, en su íntima ferocidad, que posee un tono desconocido en la literatura. Si en algunos lugares, como en la obra La Gigante o en Don Juan en los infiernos —un grupo en mármol blanco y negro— una poesía de piedra, di sasso, como el comendador—, Baudelaire recuerda la forma de Victor Hugo, pero condensada y sobre todo purificada; si en algunos otros, como en Una Carroña, la única poesía espiritualista de la colección, en la que el poeta se venga de la podredumbre aborrecida mediante la inmortalidad de un recuerdo querido:

 

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

De mes amours décomposés !

 

¡Decid, hermosa, entonces, al verme que extermina

     y que besará vuestros restos,

     que yo guardé la forma y la esencia divina

     de mis amores descompuestos!

[Versión de Manuel Santayana Ruiz]

 

pensamos en Auguste Barbier, en todas partes el autor de Las Flores del Mal es él mismo y planea altivamente por encima de todos los talentos de su tiempo. Un crítico lo decía el otro día (Edmond Thierry, de Le Moniteur), en una apreciación superior: ¡para encontrar algún parentesco con esta poesía implacable, este verso brutal, condensado y sonoro, este verso de acero que suda sangre, hay que remontarse hasta Dante, Magnus Parens! Es un honor para Charles Baudelaire haber podido evocar, con un espíritu delicado y justo, un recuerdo tan grande.

Hay algo de Dante, en efecto, en el autor de las Flores del mal, pero se trata del Dante de una época caída, de un Dante ateo y moderno, de un Dante que vino después de Voltaire, en una época que no tendrá  a Santo Tomás. El poeta de estas flores, que ulceran el pecho sobre el que se posan, no tiene el aspecto imponente de su majestuoso predecesor, y no es culpa suya. Pertenece a una edad atribulada, escéptica, burlona, nerviosa, que se retuerce en las ridículas esperanzas de transformaciones y metempsicosis; no tiene esa fe del gran poeta católico que le daba la augusta calma de la seguridad en todos los dolores de la vida. El carácter de la poesía de Las Flores del Mal, a excepción de algunos escasos poemas que la desesperación terminó por congelar, es la inquietud, la furia, la mirada convulsa, no la mirada oscuramente clara y límpida del Vidente de Florencia. La musa de Dante contempló el infierno con aire soñador, ¡la musa de Las Flores del Mal lo respira con las fosas nasales crispadas como las de un caballo que olfatea un obús! Una viene del infierno, la otra se dirige allí. Si la primera es más augusta, la otra es quizás más conmovedora. Carece de la épica maravillosa que tanto eleva la imaginación y calma sus terrores en la serenidad con la que los genios verdaderamente excepcionales saben revestir sus obras más apasionadas. Por el contrario, posee horribles realidades que nos son familiares y que son demasiado repugnantes para permitir incluso la abrumadora serenidad del desprecio. Baudelaire no se propuso ser un poeta satírico en sus Flores del Mal, y sin embargo lo es, si no en sus conclusiones y enseñanzas, al menos en la sublevación de su alma, en sus imprecaciones y sus gritos. Es el misántropo de la vida culpable, y a menudo imaginamos, mientras leemos, que si Timón de Atenas hubiera tenido el genio de Arquíloco, ¡habría podido escribir así sobre la naturaleza humana e insultarla mientras la describía!

 

IV

No podemos ni queremos citar nada del poemario en cuestión, y he aquí por qué: un poema citado sólo tendría su valor individual, y no hay que equivocarse, en el libro de Baudelaire, cada poema tiene, más que el acierto de los detalles o la fortuna del pensamiento, un valor de conjunto y de situación muy importante que no debemos hacer que pierda al separarlo de él. Los artistas que ven las líneas bajo el lujo y la eflorescencia del color percibirán muy bien que hay aquí una arquitectura secreta, un plan calculado por el poeta, meditado y deliberado. Las Flores del Mal no se suceden como tantas piezas líricas, dispersas por la inspiración y reunidas en una colección sin otro motivo que el de reunirlas. Son menos poemas que una obra poética de la más fuerte unidad. Desde el punto de vista del arte y de la sensación estética, por lo tanto, perderían mucho si no se leyeran en el orden en que el poeta, que sabe lo que hace, los ha dispuesto. Pero perderían mucho más desde el punto de vista del efecto moral que señalamos al principio de este artículo.

En cuanto a este efecto, sobre el que es muy importante insistir, evitemos cuidadosamente disminuirlo. Lo que impedirá el desastre que podría producir este veneno, servido en esta copa, es su fuerza. Las mentes de los hombres, a las que convertiría en átomos, no son capaces de absorberlo en tales proporciones, sin volverlo a vomitar, y una crispación semejante dada al espíritu de este tiempo, atrofiado y debilitado, puede salvarlo sacándolo de su cobarde debilidad por medio del horror. Los hombres solitarios ponen cráneos a su lado cuando duermen. Aquí tenemos a un Rancé, sin fe, que le ha cortado la cabeza al ídolo material de su vida; que, como Calígula, ha buscado en su interior lo que amaba y que grita desde la nada de todo, ¡contemplándola! ¿Cómo podría no ser esto algo patético y saludable?... Cuando un hombre y su poesía han descendido tanto —cuando se han hundido tan bajo, en la conciencia de la infelicidad incurable que yace en el núcleo de todos los placeres de la existencia—, la poesía y el hombre sólo pueden volver a levantarse. Charles Baudelaire no es uno de esos poetas que tienen un solo libro en la cabeza y no dejan de repetirlo. Pero ya sea porque ha secado su vena poética (cosa que no creemos) expresando y retorciendo el corazón del hombre aun cuando no es más que una esponja podrida, o bien, por el contrario, porque lo ha dejado del todo vacío con una primera espuma, ahora se ve obligado a callar, porque ha dicho las palabras supremas sobre el mal de la vida — o a hablar otro idioma. Después de las Flores del Mal, al poeta que las hizo brotar sólo le quedan dos opciones: ¡pegarse un tiro… o hacerse cristiano!

Traducción, para Literatura & Traducciones, de Miguel Ángel Frontán



III

Cette idée, nous l’avons dit déjà par tout ce qui précède c’est le pessimisme le plus achevé. La littérature satanique, qui date d’assez loin déjà, mais qui avait un côté romanesque et faux, n’a produit que des contes pour faire frémir ou des bégayements d’enfançon, en comparaison de ces réalités effrayantes et de ces poésies nettement articulées où l’érudition du mal en toutes choses se mêle à la science des mots et du rhythme. Car pour M. Charles Baudelaire, appeler un art sa savante manière d’écrire en vers ne dirait point assez. C’est presque un artifice. Esprit d’une laborieuse recherche, l’auteur des Fleurs du mal est un retors en littérature, et son talent, qui est incontestable, travaillé, ouvragé, compliqué avec une patience de Chinois, est lui-même une fleur du mal venue dans les serres chaudes d’une Décadence. Par la langue et le faire, M. Baudelaire, qui salue, à la tête de son recueil, M. Théophile Gautier pour son maître, est de cette école qui croit que tout est perdu, et même l’honneur, à la première rime faible, dans la poésie la plus élancée et la plus vigoureuse. C’est un de ces matérialistes raffinés et ambitieux qui ne conçoivent guère qu’une perfection, — la perfection matérielle —, et qui savent parfois la réaliser ; mais par l’inspiration il est bien plus profond que son école, et il est descendu si avant dans la sensation, dont cette école ne sort jamais, qu’il a fini par s’y trouver seul, comme un lion d’originalité. Sensualiste, mais le plus profond des sensualistes, et enragé de n’être que cela, l’auteur des Fleurs du mal va dans la sensation jusqu’à l’extrême limite, jusqu’à cette mystérieuse porte de l’Infini à laquelle il se heurte, mais qu’il ne sait pas ouvrir, et de rage il se replie sur la langue et passe ses fureurs sur elle. Figurez-vous cette langue, plus plastique encore que poétique, maniée et taillée comme le bronze et la pierre, et où la phrase a des enroulements et des cannelures ; figurez-vous quelque chose du gothique fleuri ou de l’architecture moresque appliqué à cette simple construction qui a un sujet, un régime et un verbe ; puis, dans ces enroulements et ces cannelures d’une phrase qui prend les formes les plus variées comme les prendrait un cristal, supposez tous les piments, tous les alcools, tous les poisons, minéraux, végétaux, animaux, et ceux-là les plus riches et les plus abondants, si on pouvait les voir, qui se tirent du cœur de l’homme, et vous avez la poésie de M. Baudelaire, cette poésie sinistre et violente, déchirante et meurtrière dont rien n’approche dans les plus noirs ouvrages de ce temps qui se sent mourir. Cela est, dans sa férocité intime, d’un ton inconnu en littérature. Si à quelques places, comme dans la pièce la Géante ou dans Don Juan aux enfers, — un groupe en marbre blanc et noir, — une poésie de pierre, di sasso, comme le commandeur, — M. Baudelaire rappelle la forme de M. Victor Hugo, mais condensée et surtout purifiée ; si à quelques autres, comme la Charogne, la seule poésie spiritualiste du recueil, dans laquelle le poëte se venge de la pourriture abhorrée par l’immortalité d’un cher souvenir :

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

De mes amours décomposés !

 on se souvient de M. Auguste Barbier, partout ailleurs l’auteur des Fleurs du mal est lui-même et tranche fièrement sur tous les talents de ce temps. Un critique le disait l’autre jour (M. Ed. Thierry, du Moniteur), dans une appréciation supérieure : pour trouver quelque parenté à cette poésie implacable, à ce vers brutal, condensé et sonore, ce vers d’airain qui sue du sang, il faut remonter jusqu’au Dante, Magnus Parens ! C’est l’honneur de M. Charles Baudelaire d’avoir pu évoquer, dans un esprit délicat et juste, un si grand souvenir !

Il y a du Dante, en effet, dans l’auteur des Fleurs du mal, mais c’est du Dante d’une époque déchue, c’est du Dante athée et moderne, du Dante venu après Voltaire, dans un temps qui n’aura point de saint Thomas. Le poëte de ces fleurs, qui ulcèrent le sein sur lequel elles reposent, n’a pas la grande mine de son majestueux devancier, et ce n’est pas sa faute. Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsycoses ; il n’a pas la foi du grand poëte catholique qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie. Le caractère de la poésie des Fleurs du mal, à l’exception de quelques rares morceaux que le désespoir a fini par glacer, c’est le trouble, c’est la furie, c’est le regard convulsé, et non pas le regard sombrement clair et limpide du Visionnaire de Florence. La muse du Dante a rêveusement vu l’enfer, celle des Fleurs du mal le respire d’une narine crispée comme celle du cheval qui hume l’obus ! L’une vient de l’enfer, l’autre y va. Si la première est plus auguste, l’autre est peut-être plus émouvante. Elle n’a pas le merveilleux épique qui enlève si haut l’imagination et calme ses terreurs dans la sérénité dont les génies tout à fait exceptionnels savent revêtir leurs œuvres les plus passionnées. Elle a, au contraire, d’horribles réalités que nous connaissons et qui dégoûtent trop pour permettre même l’accablante sérénité du mépris. M. Baudelaire n’a pas voulu être dans son livre des Fleurs du mal un poëte satirique, et il l’est pourtant, sinon de conclusion et d’enseignement, au moins de soulèvement d’âme, d’imprécations et de cris. Il est le misanthrope de la vie coupable, et souvent on s’imagine, en lisant, que si Timon d’Athènes avait eu le génie d’Archiloque, il aurait pu écrire ainsi sur la nature humaine et l’insulter en la racontant !

 

IV

Nous ne pouvons ni ne voulons rien citer du recueil de poésies en question, et voici pourquoi : une pièce citée n’aurait que sa valeur individuelle, et il ne faut pas s’y méprendre, dans le livre de M. Baudelaire, chaque poésie a, de plus que la réussite des détails ou la fortune de la pensée, une valeur très importante d’ensemble et de situation qu’il ne faut pas lui faire perdre en la détachant. Les artistes qui voient les lignes sous le luxe et l’efflorescence de la couleur percevront très bien qu’il y a ici une architecture secrète, un plan calculé par le poëte, méditatif et volontaire. Les Fleurs du mal ne sont pas à la suite les unes des autres comme tant de morceaux lyriques, dispersés par l’inspiration et ramassés dans un recueil sans d’autre raison que de les réunir. Elles sont moins des poésies qu’une œuvre poétique de la plus forte unité. Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poëte, qui sait ce qu’il fait, les a rangées. Mais elles perdraient bien davantage au point de vue de l’effet moral que nous avons signalé au commencement de cet article.

Cet effet, sur lequel il importe beaucoup de revenir, gardons-nous bien de l’énerver. Ce qui empêchera le désastre de ce poison, servi dans cette coupe, c’est sa force ! L’esprit des hommes, qu’il bouleverserait en atomes, n’est pas capable de l’absorber dans de telles proportions, sans le revomir, et une telle contraction donnée à l’esprit de ce temps, affadi et débilité, peut le sauver en l’arrachant par l’horreur à sa lâche faiblesse. Les solitaires ont auprès d’eux des têtes de mort quand ils dorment. Voici un Rancé, sans la foi, qui a coupé la tête à l’idole matérielle de sa vie ; qui, comme Caligula, a cherché dedans ce qu’il aimait et qui crie du néant de tout, en la regardant ! Croyez-vous donc que ce ne soit pas là quelque chose de pathétique et de salutaire ?… Quand un homme et une poésie en sont descendus jusque-là, — quand ils ont dévalé si bas, dans la conscience de l’incurable malheur qui est au fond de toutes les voluptés de l’existence, poésie et homme ne peuvent plus que remonter. M. Charles Baudelaire n’est pas un de ces poëtes qui n’ont qu’un livre dans le cerveau et qui vont le rabâchant toujours. Mais qu’il ait desséché sa veine poétique (ce que nous ne pensons pas) parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une éponge pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, survidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, car il a dit les mots suprêmes sur le mal de la vie, — ou de parler un autre langage. Après les Fleurs du mal, il n’y a plus que deux partis à prendre pour le poëte qui les fit éclore : ou se brûler la cervelle… ou se faire chrétien !


sábado, 4 de enero de 2025

Léon Bloy: La Medusa-Astruc I


LA MEDUSA ASTRUC

CARTA DE BARBEY D’AUREVILLY A LÉON BLOY

 

Valognes, 18 de septiembre.


 Aquí van mis saetas.

Que lo colmen a usted de valor y, en lugar de muerte y sufrimiento, le den vida...

¡Que le devuelvan el corazón y la fe en sí mismo, como tuve la suerte de devolvérsela a mi querido Maurice de Guérin!

 

J. Barbey d'Aurevilly

I

La otra —la de Minerva y la de Júpiter— petrificaba a los monstruos y transformaba en bloques inertes a los enemigos colosales de los Dioses del Olimpo. Todo lo que se alzaba contra ellos, fueran hombren o animales, podía encontrarse, a medio camino de sus cielos infranqueables, con el chorro exterminador de los ojos muertos y fijos de la Gorgona decapitada [Aquí hay un estilo que Buffon habría calificado, por la forma en que se mueve y camina, de articulaciones de león]. Ese era el tormento de los orgullosos y de los rebeldes a los que espantantaba el rayo, y la Musa velada de esa fabulosa tradición pensó, sin duda, que era digno de la ira de los Dioses de los mortales inmortalizar así —en la insolente estupidez de su desdén y en la amenazadora inmovilidad de su gesto— a esos indómitos Sublevados de la tierra que se medían —¡como siempre!— con su propia insolencia y que los truenos vengadores [Es membrudo y potente, cargado, sí, pero no pesado] podrían haber hecho aún más grandes —¡golpeándolos!

 

II

Pero ésta —esta nueva Medusa que nuestro último escultor ha plantado, para espanto y petrificación de los burgueses de la tierra, sobre la Égida de su joven gloria—, este busto de Medusa, vivo, fulgurante, extraordinario, no tiene otra inmortalidad para comunicar que la que recibió del artista omnipotente que, como Dios, la hizo salir de un montón de barro, y la del hombre aún más asombroso de quien es la imagen. ¡Oh poder misterioso del Arte! cuando tantas almas ya no pueden ser impregnadas por ti —¡bien lo saben ustedes, artistas y poetas desdichados!—, cuando hay tantos corazones tan sobrenaturalmente pesados que nada, nada tuyo puede, por última vez, hacerlos palpitar; ¡oh santo vengador de todas las grandezas despreciadas —empezando por la tuya—, este es pues tu supremo esfuerzo! ¡Ah! esta obra es aún más bella y más fuerte que la Muerte, que el Dolor y que el Desprecio, esa triple diadema de los que hoy buscan la Belleza en la tierra, y si los hombres un día ya no quieren saber nada contigo, oh Facultad divina, puedes, entretanto, humillarlos una vez más y —con el rayo de la MEDUSA-ASTRUC,  atormentar una vez más a tus abyectos atormentadores!

 

III

¿Y cómo puede entonces el odioso, el vil burgués, esa alma baja y sórdida con la que el primer canalla triunfante puede hacer una alfombra para sus pies, ese cobarde y tembloroso proveedor de la envidia humana —de quien los ultrajes son el más bello laurel del genio y las alabanzas el más deshonroso fango donde puede sumergirse la punta de la gran ala azul de las aves del séptimo cielo—, ¿cómo pretender que, en una ocasión semejante, ese vientre social no se sienta humillado, horripilado y profundamente atormentado? ¡Es una obra estatuaria, de una belleza inaudita, aterradora, capaz de hacer bajar del cielo a las catorce Dominaciones que custodiaban al viejo Miguel Ángel! Mis ojos la han contemplado muchas veces, y esa visión aún perdura. En mi memoria se yergue como un sueño de grandeza más que humana, pesadilla de desesperante superioridad que oprime mi corazón con su divino agobio. Ojalá pudiera contársela a ustedes tal como la vi pasar por mi alma. Pero cuando es preciso, con débiles palabras, balbuceadas por hombres más débiles, esculpir exteriormente nuestros entusiasmos y los misteriosos poemas de nuestros recuerdos [Todo esto es muy grande, de un bello giro poético, -y byroniano]; —¡ay Dios mío! nuestros pensamientos se demoran entonces en nuestros pensamientos, nuestra memoria no es más que una ruina llena de tristezas heladas y de ecos fúnebres, y nuestros propios sonidos, más hostiles y más pesados que esos impenetrables cielos extendidos sobre nuestras cabezas ante la frente ofendida de la Majestad divina, nuestros sentidos curiosos y ávidos nos arrojan sobre esta dura tierra impregnada con la amargura de las lágrimas que, desde hace seis mil años, la dolorosa humanidad derrama sobre ella!...

(continuará)
LÉON BLOY
Traducción, para Literatura & Traducciones de Miguel Ángel Frontán

Valognes, 18 septembre.


 Voici mes sagettes.

Qu’elles vous pénètrent de courage et qu’au lieu de la mort et de la souffrance, elles vous donnent la vie…

Que je vous relève le cœur et la foi en vous, comme j’ai eu le bonheur des les relever à mon bien-aimé Maurice de Guérin !

 

J. Barbey d’Aurevilly


LA MÉDUSE-ASTRUC


I 

L’autre, — celle de Minerve et de Jupiter, — pétrifiait les monstres et transformait en blocs inertes les ennemis démesurés des Dieux de l’Olympe. Tout ce qui se dressait contre ceux-ci, hommes ou bêtes, pouvait rencontrer, à moitié chemin de leurs cieux infranchissables, le jaillissement exterminateur des yeux morts et fixes de la Gorgone décapitée [C’est là un style que Buffon aurait appelé pour la manière dont il se meut et marche : des articulations de lion]. C’était là le supplice des orgueilleux et des révoltés que la foudre n’épouvantait pas, et la Muse voilée de cette fabuleuse tradition pensa, sans doute, qu’il était digne de la colère des Dieux des mortels d’immortaliser ainsi, — dans l’insolente stupidité de leur dédain et dans la menaçante immobilité de leur geste, — ces indomptables Soulevés de la terre qui se mesuraient, — comme toujours ! — à leur propre insolence et que les tonnerres vengeurs [C’est membré et puissant de démarche, chargé, oui, mais pas lourd] eussent pu grandir encore — en les frappant !

 

II

Mais celle-ci, –cette nouvelle Méduse que notre dernier sculpteur a plantée, pour l’épouvante et la pétrification des bourgeois de la terre sur l’Égide de sa jeune gloire, — ce buste méduséen, vivant fulgurant, formidable, n’a pas d’autre immortalité à communiquer que celle qu’il a reçue de l’artiste omnipotent qui, comme Dieu, l’a fait sortir d’un tas de boue, et de l’homme plus étonnant encore dont il est l’image. Ô puissance mystérieuse de l’Art ! lorsque tant d’âmes ne peuvent plus être pénétrées par toi, — vous le savez artistes et poëtes infortunés ! — lorsqu’il existe tant de cœurs d’un si surnaturel appesantissement que rien, rien de toi ! ne peut plus les faire, une dernière fois, palpiter ; ô sainte Vengeresse de toutes les grandeurs méprisées, — à commencer par la tienne, — voilà donc ton suprême effort ! Ah ! cette œuvre est encore plus belle et plus forte que la Mort, que la Douleur et que le Mépris, ce triple diadème de ceux qui cherchent aujourd’hui la Beauté sur la terre, et si les hommes, un jour, ne veulent plus de toi, ô Faculté divine, tu peux, en attendant, les humilier encore et, — du coup de foudre de la MÉDUSE-ASTRUC, — désoler une fois de plus tes abjects désolateurs !

 

III

Et comment donc l’odieux, le vil bourgeois, cette âme basse et sordide dont le premier goujat triomphant peut se faire un tapis pour ses pieds, ce lâche et tremblant pourvoyeur de l’envie humaine, — de qui les outrages sont le plus beau laurier du génie et les louanges le plus déshonorant bourbier où puisse tremper l’extrémité de la grande aile bleue des oiseaux du septième ciel ; — comment voudriez-vous qu’en une telle rencontre, ce ventre social ne fût pas humilié, horripilé et désolé profondément ? Il s’agit d’une œuvre de statuaire, d’une beauté inouïe, effrayante, à faire descendre du ciel les quatorze Dominations qui gardaient le vieux Michel-Ange ! Mes yeux l’ont plusieurs fois contemplée et cette vision dure encore. Elle se dresse dans ma mémoire, comme un rêve d’une grandeur plus qu’humaine, cauchemar de désespérante supériorité qui oppresse mon cœur de son divin accablement. Je voudrais pouvoir vous la raconter telle que je l’ai vue passer à travers mon âme. Mais, quand il faut, avec de faibles mots, balbutiés par de plus faibles hommes, sculpter extérieurement nos enthousiasmes et les mystérieuses poésies de nos souvenirs [Tout cela est très grand, d’un beau tour poétique, — et byronien]; — hélas ! mon Dieu ! nos pensées s’appesantissent alors sur nos pensées, notre mémoire n’est plus qu’une ruine pleine de tristesses glacées et d’échos funèbres, et nos propres sons, plus ennemis et plus pesants que ces impénétrables cieux étendus au-dessus de nos têtes devant le front offensé de la Majesté divine, nos sens curieux et avides nous précipitent sur cette dure terre pénétrée de l’amertume des larmes que, depuis six mille ans, la douloureuse humanité répand sur elle !…