LIVRE I
CHAPITRE III
NOS AFFECTIONS S'EMPORTENT AU DELA DE NOUS
Ceux qui accusent les hommes d'aller tousjours beant apres les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-là : comme n'ayants aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : s'ils osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant, comme assez d'autres, cette imagination fausse, plus jalouse de nostre action, que de nostre science. Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes tousjours au delà. La crainte, le desir, l'esperance, nous eslancent vers l'advenir : et nous desrobent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.
Calamitosus est animus futuri anxius.
Ce grand precepte est souvent allegué en Platon, « Fay ton faict, et te congnoy.» Chascun de ces deux membres enveloppe generallement tout nostre devoir : et semblablement enveloppe son compagnon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa premiere leçon, c'est cognoistre ce qu'il est, et ce qui luy est propre. Et qui se cognoist, ne prend plus l'estranger faict pour le sien : s'ayme, et se cultive avant toute autre chose : refuse les occupations superflues, et les pensees, et propositions inutiles.
Ut stultitia etsi adepta est quod concupivit nunquam se tamen satis consecutam putat: sic sapientia semper eo contenta est quod adest, neque eam unquam sui poenitet.
Epicurus dispense son sage de la prevoyance et soucy de l'advenir.
Entre les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant solide, qui oblige les actions des Princes à estre examinees apres leur mort : Ils sont compagnons, sinon maistres des loix : ce que la Justice n'a peu sur leurs testes, c'est raison qu'elle l'ayt sur leur reputation, et biens de leurs successeurs : choses que souvent nous preferons à la vie. C'est une usance qui apporte des commoditez singulieres aux nations où elle est observee, et desirable à tous bons Princes : qui ont à se plaindre de ce, qu'on traitte la memoire des meschants comme la leur. Nous devons la subjection et obeïssance egalement à tous Rois : car elle regarde leur office : mais l'estimation, non plus que l'affection, nous ne la devons qu'à leur vertu. Donnons à l'ordre politique de les souffrir patiemment, indignes : de celer leurs vices : d'aider de nostre recommandation leurs actions indifferentes, pendant que leur auctorité a besoin de nostre appuy. Mais nostre commerce finy, ce n'est pas raison de refuser à la justice, et à nostre liberté, l'expression de noz vrays ressentiments. Et nommément de refuser aux bons subjects, la gloire d'avoir reveremment et fidellement servi un maistre, les imperfections duquel leur estoient si bien cognues : frustrant la posterité d'un si utile exemple. Et ceux, qui, par respect de quelque obligation privee, espousent iniquement la memoire d'un Prince mesloüable, font justice particuliere aux despends de la justice publique. Titus Livius dict vray, que le langage des hommes nourris sous la Royauté, est tousjours plein de vaines ostentations et faux tesmoignages : chascun eslevant indifferemment son Roy, à l'extreme ligne de valeur et grandeur souveraine.
On peult reprouver la magnanimité de ces deux soldats, qui respondirent à Neron, à sa barbe, l'un enquis de luy, pourquoy il luy vouloit mal : Je t'aimoy quand tu le valois : mais despuis que tu és devenu parricide, boutefeu, basteleur, cochier, je te hay, comme tu merites. L'autre, pourquoy il le vouloit tuer ; Par ce que je ne trouve autre remede à tes continuels malefices. Mais les publics et universels tesmoignages, qui apres sa mort ont esté rendus, et le seront à tout jamais, à luy, et à tous meschans comme luy, de ses tiranniques et vilains deportements, qui de sain entendement les peut reprouver ?
Il me desplaist, qu'en une si saincte police que la Lacedemonienne, se fust meslée une si feinte ceremonie à la mort des Roys. Tous les confederez et voysins, et tous les Ilotes, hommes, femmes, pesle-mesle, se descoupoient le front, pour tesmoignage de deuil : et disoient en leurs cris et lamentations, que celuy la, quel qu'il eust esté, estoit le meilleur Roy de tous les leurs : attribuants au reng, le los qui appartenoit au merite ; et, qui appartient au premier merite, au postreme et dernier reng. Aristote, qui remue toutes choses, s'enquiert sur le mot de Solon, Que nul avant mourir ne peut estre dict heureux, Si celuy la mesme, qui a vescu, et qui est mort à souhait, peut estre dict heureux, si sa renommee va mal, si sa posterité est miserable. Pendant que nous nous remuons, nous nous portons par preoccupation où il nous plaist : mais estant hors de l'estre, nous n'avons aucune communication avec ce qui est. Et seroit meilleur de dire à Solon, que jamais homme n'est donc heureux, puis qu'il ne l'est qu'apres qu'il n'est plus.
Quisquam
Vix radicitus è vita se tollit, et ejicit :
Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse,
Nec removet satis à projecto corpore sese, et
Vindicat.
Bertrand du Glesquin mourut au siege du chasteau de Rancon, pres du Puy en Auvergne : les assiegez s'estans rendus apres, furent obligez de porter les clefs de la place sur le corps du trespassé.
Barthelemy d'Alviane, General de l'armee des Venitiens, estant mort au service de leurs guerres en la Bresse, et son corps ayant esté rapporté à Venise par le Veronois, terre ennemie la pluspart de ceux de l'armee estoient d'advis, qu'on demandast sauf-conduit pour le passage à ceux de Veronne : mais Theodore Trivulce y contredit ; et choisit plustost de le passer par vive force, au hazard du combat : n'estant convenable, disoit-il, que celuy qui en sa vie n'avoit jamais eu peur de ses ennemis, estant mort fist demonstration de les craindre.
De vray, en chose voisine, par les loix Grecques, celuy qui demandoit à l'ennemy un corps pour l'inhumer, renonçoit à la victoire, et ne luy estoit plus loisible d'en dresser trophee : à celuy qui en estoit requis, c'estoit tiltre de gain. Ainsi perdit Nicias l'avantage qu'il avoit nettement gaigné sur les Corinthiens : et au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien doubteusement acquis sur les Baeotiens.
Ces traits se pourroient trouver estranges, s'il n'estoit receu de tout temps, non seulement d'estendre le soing de nous, au delà cette vie, mais encore de croire, que bien souvent les faveurs celestes nous accompaignent au tombeau, et continuent à nos reliques. Dequoy il y a tant d'exemples anciens, laissant à part les nostres, qu'il n'est besoing que je m'y estende. Edouard premier Roy d'Angleterre, ayant essayé aux longues guerres d'entre luy et Robert Roy d'Escosse, combien sa presence donnoit d'advantage à ses affaires, rapportant tousjours la victoire de ce qu'il entreprenoit en personne ; mourant, obligea son fils par solennel serment, à ce qu'estant trespassé, il fist bouillir son corps pour desprendre sa chair d'avec les os, laquelle il fit enterrer : et quant aux os, qu'il les reservast pour les porter avec luy, et en son armee, toutes les fois qu'il luy adviendroit d'avoir guerre contre les Escossois : comme si la destinee avoit fatalement attaché la victoire à ses membres.
Jean Vischa, qui troubla la Boheme pour la deffence des erreurs de VViclef, voulut qu'on l'escorchast apres sa mort, et de sa peau qu'on fist un tabourin à porter à la guerre contre ses ennemis : estimant que cela ayderoit à continuer les advantages qu'il avoit eux aux guerres, par luy conduictes contre eux. Certains Indiens portoient ainsi au combat contre les Espagnols ; les ossemens d'un de leurs Capitaines, en consideration de l'heur qu'il avoit eu en vivant. Et d'autres peuples en ce mesme monde, trainent à la guerre les corps des vaillans hommes, qui sont morts en leurs batailles, pour leur servir de bonne fortune et d'encouragement.
Les premiers exemples ne reservent au tombeau, que la reputation acquise par leurs actions passees : mais ceux-cy y veulent encore mesler la puissance d'agir. Le faict du Capitaine Bayard est de meilleure composition, lequel se sentant blessé à mort d'une harquebusade dans le corps, conseillé de se retirer de la meslee, respondit qu'il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le dos à l'ennemy : et ayant combatu autant qu'il eut de force, se sentant defaillir, et eschapper du cheval, commanda à son maistre d'hostel, de le coucher au pied d'un arbre : mais que ce fust en façon qu'il mourust le visage tourné vers l'ennemy : comme il fit.
Il me faut adjouster cet autre exemple aussi remarquable pour cette consideration, que nul des precedens. L'Empereur Maximilian bisayeul du Roy Philippes, qui est à present, estoit Prince doué de tout plein de grandes qualitez, et entre autres d'une beauté de corps singuliere : mais parmy ces humeurs, il avoit ceste cy bien contraire à celle des Princes, qui pour despescher les plus importants affaires, font leur throsne de leur chaire percee : c'est qu'il n'eut jamais valet de chambre, si privé, à qui il permist de le voir en sa garderobbe : Il se desroboit pour tomber de l'eau, aussi religieux qu'une pucelle à ne descouvrir ny à Medecin ny à qui que ce fust les parties qu'on a accoustumé de tenir cachees. Moy qui ay la bouche si effrontee, suis pourtant par complexion touché de cette honte : Si ce n'est à une grande suasion de la necessité ou de la volupté, je ne communique gueres aux yeux de personne, les membres et actions, que nostre coustume ordonne estre couvertes : J'y souffre plus de contrainte que je n'estime bien seant à un homme, et sur tout à un homme de ma profession : Mais luy en vint à telle superstition, qu'il ordonna par parolles expresses de son testament, qu'on luy attachast des calessons, quand il seroit mort. Il devoit adjouster par codicille, que celuy qui les luy monteroit eust les yeux bandez. L'ordonnance que Cyrus faict à ses enfans, que ny eux, ny autre, ne voye et touche son corps, apres que l'ame en sera separee : je l'attribue à quelque siene devotion : Car et son Historien et luy, entre leurs grandes qualitez, ont semé par tout le cours de leur vie, un singulier soin et reverence à la religion.
Ce conte me despleut, qu'un grand me fit d'un mien allié, homme assez cogneu et en paix et en guerre. C'est que mourant bien vieil en sa cour, tourmenté de douleurs extremes de la pierre, il amusa toutes ses heures dernieres avec un soing vehement, à disposer l'honneur et la ceremonie de son enterrement : et somma toute la noblesse qui le visitoit, de luy donner parolle d'assister à son convoy. A ce Prince mesme, qui le vid sur ces derniers traits, il fit une instante supplication que sa maison fust commandee de s'y trouver ; employant plusieurs exemples et raisons, à prouver que c'estoit chose qui appartenoit à un homme de sa sorte : et sembla expirer content ayant retiré cette promesse, et ordonné à son gré la distribution, et ordre de sa montre. Je n'ay guere veu de vanité si perseverante.
Cette autre curiosité contraire, en laquelle je n'ay point aussi faute d'exemple domestique, me semble germaine à ceste-cy : d'aller se soignant et passionnant à ce dernier poinct, à regler son convoy, à quelque particuliere et inusitee parsimonie, à un serviteur et une lanterne. Je voy louer cett'humeur, et l'ordonnance de Marcus Æmylius Lepidus, qui deffendit à ses heritiers d'employer pour luy les ceremonies qu'on avoit accoustumé en telles choses. Est-ce encore temperance et frugalité, d'eviter la despence et la volupté, desquelles l'usage et la cognoissance nous est imperceptible ? Voila une aisee reformation et de peu de coust. S'il estoit besoin d'en ordonner, je seroy d'advis, qu'en celle là, comme en toutes actions de la vie, chascun en rapportast la regle, au degré de sa fortune. Et le Philosophe Lycon prescrit sagement à ses amis, de mettre son corps où ils adviseront pour le mieux : et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques. Je lairrois purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m'en remettray à la discretion des premiers à qui je tomberay en charge. Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris. Et est sainctement dict à un sainct : Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exequiarum, magis sunt vivorum solatia, quàm subsidia mortuorum. Pourtant Socrates à Criton, qui sur l'heure de sa fin luy demande, comment il veut estre enterré : Comme vous voudrez, respond-il. Si j'avois à m'en empescher plus avant, je trouverois plus galand, d'imiter ceux qui entreprennent vivans et respirans, jouyr de l'ordre et honneur de leur sepulture : et qui se plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent resjouyr et gratifier leur sens par l'insensibilité, et vivre de leur mort !
A peu, que je n'entre en haine irreconciliable contre toute domination populaire : quoy qu'elle me semble la plus naturelle et equitable : quand il me souvient de cette inhumaine injustice du peuple Athenien : de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouïr en leurs defenses, ces braves capitaines, venants de gaigner contre les Lacedemoniens la bataille navalle pres les Isles Arginenses : la plus contestee, la plus forte bataille, que les Grecs aient onques donnee en mer de leurs forces : par ce qu'apres la victoire, ils avoient suivy les occasions que la loy de la guerre leur presentoit, plustost que de s'arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse, le faict de Diomedon. Cettuy cy est l'un des condamnez, homme de notable vertu, et militaire et politique : lequel se tirant avant pour parler, apres avoir ouy l'arrest de leur condemnation, et trouvant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s'en servir au bien de sa cause, et à descouvrir l'evidente iniquité d'une si cruelle conclusion, ne representa qu'un soin de la conservation de ses juges : priant les Dieux de tourner ce jugement à leur bien, et à fin que, par faute de rendre les voeux que luy et ses compagnons avoient voué, en recognoissance d'une si illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des Dieux sur eux : les advertissant quels voeux c'estoient. Et sans dire autre chose, et sans marchander, s'achemina de ce pas courageusement au supplice. La fortune quelques annees apres les punit de mesme pain souppe. Car Chabrias capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du combat contre Pollis Admiral de Sparte, en l'isle de Naxe, perdit le fruict tout net et content de sa victoire, tres-important à leurs affaires, pour n'encourir le malheur de cet exemple, et pour ne perdre peu de corps morts de ses amis, qui flottoyent en mer ; laissa voguer en sauveté un monde d'ennemis vivants, qui depuis leur feirent bien acheter cette importune superstition.
Quoeris, quo jaceas, post obitum, loco ?
Quo non nata jacent.
Cet autre redonne le sentiment du repos, à un corps sans ame,
Neque sepulcrum, quo recipiat, habeat portum corporis :
Ubi, remissa humana vita, corpus requiescat à malis.
Tout ainsi que nature nous faict voir, que plusieurs choses mortes ont encore des relations occultes à la vie. Le vin s'altere aux caves, selon aucunes mutations des saisons de sa vigne. Et la chair de venaison change d'estat aux saloirs et de goust, selon les loix de la chair vive, à ce qu'on dit.
Libro I
Capítulo III
NUESTROS DESEOS VAN MAS ALLA DE NOSOTROS MISMOS
Quienes acusan a los hombres de estar siempre pendientes de las cosas futuras, y nos enseñan a apoderarnos de los bienes presentes y a mantenernos tranquilos en esa posesión, ya que no podemos ejercer ningún poder sobre lo que vendrá, incluso aún menos que sobre lo pasado, ponen el dedo en el más común de los errores humanos, siempre y cuando se pueda llamar error algo a lo que la misma naturaleza nos encamina para favorecer la continuación de su obra, produciendo en nosotros,con mayor cuidado de nuestras acciones que de nuestro conocimiento, esta falsa imaginación entre tantas otras. Nunca estamos en nosotros mismos, siempre estamos más allá. El temor, el deseo, la esperanza, nos empujan hacia el futuro, y nos esconden el sentimiento y la consideración de lo que es, para distraernos con lo que será, incluso en un tiempo en el que ya no existiremos.
Calomitosus est animus futuri anxius.
(Séneca, Epístola 98: "Desgraciada es la mente preocupada por el futuro".)
Este gran precepto es invocado a menudo en las páginas de Platón: "cumple con tu tarea y conócete a tí mismo". Las dos cosas constituyen la totalidad de nuestro deber y cada una de ellas presupone la otra. Quien tiene que cumplir con su tarea verá que su primera lección es conocer lo que él es y aquello que le es propio. Y quien se conoce no toma por propio lo que no le concierne: antes que nada se ama a sí mismo y cultiva su espíritu, rechaza las ocupaciones superfluas y evita los pensamientos y los juicios inútiles.
Ut stultitia etsi adepta est quod concupivit nunquam se tamen satis consecutam putat: sic sapientia semper eo contenta est quod adest, neque eam unquam sui poenitet.
(Cicerón, Tusculanas, libro V, capítulo 18: "la locura, incluso si se le otorgase lo que desea no estaría satisfecha, pero la sabiduría disfruta de lo que tiene y no esta descontenta de sí misma".)
Epicuro dispensa al sabio que sigue sus ideas de la inquietud y de la previsión del porvenir.
Entre las leyes que incumben a los difuntos, me parece muy sólida la que prescribe que las acciones de los monarcas sean examinadas luego de su muerte. Estos son los iguales, cuando no los señores, de la ley; es razonable pues que el poder que la Justicia no tuvo sobre sus personas, lo posea sobre su reputación y sobre los bienes de sus sucesores: cosas que, con frecuencia, preferimos a la vida misma. Es una costumbre que procura singulares ventajas a los pueblos que la respetan, y que conviene a todos los buenos príncipes que lamentan que su memoria reciba el mismo trato que la de los malvados. El acatamiento y la obediencia son debidos a todo rey, ya que es lo que corresponde a su función; pero la estima y el afecto solamente los debemos a su virtud. Padezcámoslos pacientemente, por el orden político, cuando son indignos, ocultemos sus defectos, ayudemos con nuestro elogio sus acciones indiferentes tanto tiempo como su autoridad necesita de nuestro apoyo. Pero, una vez terminada nuestra relación, no hay razón para negarles a la justicia y a nuestra libertad la expresión de nuestros verdaderos sentimientos, ni, sobre todo, para negar a los buenos súbditos la gloria de haber servido, con reverencia y fidelidad, a un señor cuyos defectos eran bien conocidos, lo cual privaría a la posteridad de un ejemplo muy útil. Y quienes, debido a algún reconocimiento personal, abrazan injustamente la memoria de un soberano indigno de elogio, ejercen una justicia individual a expensas de la justicia pública. Tito Livio dice con razón que el lenguaje de los hombres educados bajo una monarquía está, siempre, repleto de locas ostentaciones y de vanos testimonios: todos elevan a su rey, sin reflexionar, al más alto grado de valía y de extrema grandeza.
Podemos reprobar la magnanimidad de esos dos soldados que le respondieron a Nerón en su propia cara. Habiendo Nerón preguntado a uno de ellos la causa por la cual éste lo odiaba: "Te amaba cuando lo merecías, pero después que te has vuelto parricida, incendiario, malabarista, cochero en el circo, te detesto tanto como lo mereces". El otro, habiéndole preguntado por qué quería matarlo: "Porque no encuentro otro remedio a tus continuas maldades". Pero los públicos y universales testimonios que han sido dados después de su muerte y para siempre jamás de su comportamiento tiránico y vil, ¿quén podría, en su sano juicio, reprobarlos?
Me desagrada que a una organización política tan perfecta como la lacedemonia se mezclase una ceremonia tan falsa. Al morir los reyes, todos los confederados y vecinos, todos los ilotas, hombres y mujeres, sin distinción, se cortaban la frente como manifestación de duelo y decían, en sus gritos y lamentaciones, que aquél, sin importar como hubiese sido, había sido el mejor rey de todos los suyos: atribuyendo al rango la alabanza que corresponde al mérito, y que corresponde al primer mérito así se encuentre en el más alejado y último rango. Aristóteles, que en todo se interesa, se interroga, respecto a la frase de Solón que dice que nadie antes de su muerte puede ser llamado feliz, si aquel que ha vivido y muerto correctamente, puede ser llamado feliz cuando carece de prestigio, cuando su descendencia es desgraciada. Mientras nos movemos, nuestros pensamientos nos llevan anticipadamente allí donde nos place, pero estando fuera de la existencia no tenemos ninguna comunicación con lo que es. Y lo mejor sería decirle a Solón que el hombre no es nunca feliz puesto que lo es cuando ya no existe.
Quiscam
Vix radicitus e vita se tollit, et ejicit:
Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse,
Nec removet satis a projecto corpore sese, et vindicat.
(Lucrecio, De natura rerum, canto III: "Cada uno se arranca con dolor de la vida hasta la raíz, pero, incluso sin saberlo, se imagina que una parte de sí mismo le sobrevive; y no puede deshacerse y liberarse completamente de su cuerpo vencido por la muerte". Los versos de Lucrecio han sido modificados por Montaigne.)
Bertrand du Guesclin murió durante el sitio del castillo de Rangón en los alrededores de Puy en Auvernia. Los sitiados, que se rindieron después, fueron obligados a depositar las llaves del lugar sobre el cuerpo del difunto.
Bartolommeo da Alviana, general del ejército de los venecianos, murió a su servicio durante las guerras de Brescia, y como el cuerpo tenía que atravesar el Venovesado, tierra enemiga, para llegar a Venecia, la mayor parte del ejército pensaba que se debía pedir un salvoconducto para atravesar Verona. Pero Teodoro Trivulcio no estuvo de acuerdo y prefirió pasar por la fuerza, incluso si se corría el riesgo de una batalla: "No sería digno, decía, que aquel que en vida nunca temió a sus enemigos, muerto, diese muestras de temerlos."
En verdad, en algo parecido, las leyes griegas instituían que aquel que pedía un cuerpo al enemigo a fin de inhumarlo, renunciase a la victoria, no siéndole posible erigir un monumento conmemorativo. Para el enemigo solicitado, en cambio, la situación era un título de victoria. Así fue como perdió Nicias la amplia ventaja que había ganado sobre los corintios. Y, por el contrario, Agesilao aseguró de tal forma la dudosa victoria que había obtenido sobre los beocios.
Estos hechos
podrían parecer extraños sino estubiese establecido desde siempre, no solamente prolongar el cuidado que tenemos de nosotros mismos más allá de esta vida, más aún la creencia de que, muy a menudo, los favores celestes nos acompañan a la tumba y se prolongan a nuestros restos. De lo cual hay tantos ejemplos antiguos, dejando aparte los nuestros, que no es necesario extenderme. Eduardo I, rey de Inglaterra, habiendo experimentado durante las largas guerras entre él y Roberto, rey de Escocia, hasta qué punto su presencia favorecía su empresa, otorgándole la victoria en todo aquello que emprendía personalmente, al morir, obligó a su hijo, por medio de un juramento solemne, a que luego de su muerte hiciese hervir su cuerpo para desprender la carne de los huesos, enterrase aquella y guardase los huesos y los llevase junto con él y con su ejército todas las veces que tuviese que ir a la guerra contra los escoceses. Como si el destino hubiese ligado inevitablemente la victoria a sus miembros.
Juan Ziska que turbó la paz en Bohemia para defender los errores de Wiclef, quiso que lo despellejasen después de su muerte y que con su piel se hiciese un tamboril para ser llevado a la guerra contra sus enemigos, estimando que esto prolongaría las ventajas obtenidas en las guerras que el había conducido contra ellos. Así era como algunos indios llevaban al combate contra los españoles el esqueleto de uno de sus capitanes en consideración de la buena suerte que había tenido en vida. Y otros pueblos de ese mismo mundo arrastran a la guerra los cuerpos de los hombres valientes que han muerto en sus batallas para que les sirvan de empuje y de buena fortuna.
Los primeros ejemplos reservan a la tumba solamente la reputación adquirida por las acciones pasadas, pero estos últimos pretenden conferirle además la facultad de actuar. El caso del capitán Bayard es más presentable, el cual al sentirse herido de muerte de un tiro de arcabuz en el cuerpo, y habiéndosele aconsejado dejar la batalla, respondió que de ninguna manera comenzaría al final de su vida a darle la espalda al enemigo; y después de combatir tanto como le duraron las fuerzas, sintiéndose desfallecer y no pudiéndose sostener a caballo, ordenó a su mayordomo que lo acostase al pie de un árbol pero que fuese de tal manera que pudiese morir con el rostro vuelto hacia el enemigo, cosa que hizo.
Me es necesario agregar este otro ejemplo, más notable desde este punto de vista que todos los precedentes. El emperador Maximiliano, bisabuelo del rey Felipe que hoy gobierna, era un príncipe dotado para todo de grandes cualidades, y entre otras de una belleza física singular. Pero entre sus características, estaba ésta, bien diferente de la conducta de los príncipes que para despachar los asuntos más importantes transforman en un trono su retrete: nunca hubo ayuda de cámara por íntimo que fuese a quien le haya permitido verlo en el excusado. Se ocultaba para orinar, tan escrupuloso como una doncella cuando se trataba de ocultar al médico o a quien fuese las partes que solemos mantener ocultas. Yo que tengo la boca tan desvergonzada padezco sin embargo, por naturaleza, de semejante pudor. Si no es por gran persuasión de la necesidad o de la voluptuosidad, apenas muestro a las miradas ajenas los miembros y acciones que nuestra costumbre ordena mantener cubiertos. Con lo cual sufro más limitaciones que las que estimo convenientes en un hombre y, sobre todo, en un hombre de mi profesión. Pero él llegó a tal grado de superstición que ordenó con palabras explícitas en su testamento que le pusiesen calzones una vez muerto. Y además tendría que haber agregado en un codicilo que el que se los pusiese tuviera los ojos vendados. La orden que Ciro da a sus hijos de que ni ellos ni nadie vean y toquen su cuerpo después que el alma se haya separado de él, yo la atribuyo a alguna devoción suya particular. Ya que su historiador y él mismo, entre sus grandes cualidades han sembrado en todo el curso de sus vidas un cuidado singular y la reverencia de la religión.
Este cuento que un grande me hizo de unos de mis parientes políticos, hombre bastante conocido tanto en la paz como en la guerra, me desagradó. Al llegarle la muerte, muy viejo en su corte, atormentado por los dolores extremos de la piedra, desperdició sus últimas horas en disponer, con cuidado vehemente, los honores y la ceremonia de su entierro y conminó a toda la nobleza que lo visitaba a darle su palabra de asistir a su cortejo fúnebre. A aquel mismo príncipe que lo vio en sus últimos momentos, le suplicó insistentemente que ordenase a toda su casa que asistiera al sepelio, empleando varios ejemplos y razones para probarle que era lo que correspondía a un hombre de su clase, y pareció morir contento habiendo obtenido esta promesa y ordenado según su voluntad la distribución y el orden de las suntuosas ceremonias. Casi no he visto vanidad tan persistente.
Este cuidado contrario, del cual tampoco carezco de ejemplos familiares, me parece ser pariente próximo de aquél, ocuparse de sí mismo y atormentarse hasta el punto de restringir su sepelio, con parcimonia minuciosa e inhabitual, a un servidor y a una lámpara.
Veo que esta actitud es ensalzada, y la disposición de Marco Emilio Lépido que prohibió a sus herederos emplear para él las ceremonias que la costumbre imponía en tales cosas. ¿Es, acaso, moderación y sobriedad evitar el gasto y el placer cuyo uso y conocimiento nos son imperceptibles? He aquí un cambio de conducta cómodo y que cuesta poco. Si en esto fuese necesario tomar disposiciones es mi opinión que cada uno, como para todas las acciones de la vida, aplique la regla de acuerdo con su condición social. Y el filósofo Licón ordena sabiamente a sus amigos poner su cuerpo donde mejor les parezca, y en cuanto a las exequias que éstas no sean ni superfluas ni mezquinas. Yo dejaré simplemente que la costumbre se encargue de esta ceremonia, y tendré confianza en el criterio del primero a quien incumba esta carga. Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris. (Cicerón, Tusculanas, 1, XLV: "Todo esto es un cuidado desdeñable para nosotros mismos, pero que no debemos descuidar para los nuestros".) Y santamente ha sido dicho por un santo: Curatio funeris, conditio sepulturae, pompa exequiarum magis sunt vivorum solatia quam subsidia mortuorum. (San Agustín, La ciudad de Dios, libro 1: "El cuidado de los funerales, la elección de la sepultura, la pompa de las exequias son más que nada consolaciones para los vivos antes que ayuda para los muertos".) Sin embargo, Sócrates a Critón que en la hora final le pregunta como quiere ser enterrado: "Como ustedes quieran", responde. Si tuviese que preocuparme aún más de todo esto, me parecería más astuto imitar a quienes comienzan, viviendo y respirando, a gozar del orden y honor de su sepultura y que disfrutan viendo en mármol su muerta actitud. Felices los que saben alegrar y complacer sus sentidos con la insensibilidad, y vivir de su muerte.
Apenas si me es necesario poco más para entrar en un odio irreconciliable contra toda dominación popular, a pesar de que me parezca la más natural y equitativa, cuando recuerdo esa injusticia inhumana del pueblo ateniense de condenar a muerte sin posibilidad de perdón, y sin siquiera querer escuchar su defensa, a esos bravos capitanes que acababan de ganar contra los lacedemonios la batalla naval cerca de las islas Arginusas, la más disputada, la más dura batalla que los griegos hayan dado
jamás
con sus fuerzas en el mar, porque luego de la victoria habían seguido las oportunidades que la ley de la guerra les presentaba, antes que detenerse a recoger e inhumar a sus muertos. Y el ejemplo de Diomedón vuelve esta ejecución aún más odiosa. Este es uno de los condenados, hombre de notable virtud, militar y política, quien, al adelantarse para hablar, luego de haber escuchado la sentencia de su condena, y encontrando sólo entonces el momento de ser escuchado serenamente, en lugar de tratar de sacar provecho para su causa y de poner de manifiesto la evidente injusticia de una decisión tan cruel, no se preocupó sino de la preservación de sus jueces, rogando a los dioses que esa sentencia les fuese benéfica; y advirtió a los jueces cuales eran las promesas que él y sus compañeros habían hecho a los dioses en reconocimiento de tan ilustre fortuna, a fin de evitar que, quedando incumplidas, estos no atrayesen sobre sí mismos la ira divina. Y sin decir nada más, sin súplicas, se encaminó de inmediato, valientemente, hacia el suplicio.
La fortuna, algunos años después, los castigó de la misma manera. Ya que Cabrias, capitán general de la escuadra de los atenienses, al vencer en el combate contra Polis, almirante de Esparta, en la isla de Naxos, perdió el fruto neto y contante de su victoria, muy importante para los asuntos de Atenas, por no incurrir en la desgracia de aquel ejemplo. Y para no perder los pocos cuerpos muertos de sus amigos que flotaban en el mar, dejó navegar a salvo un mundo de enemigos vivos quienes, más tarde, les hicieron pagar con creces esta inoportuna superstición.
Quaeris quo jaceas post obitum loco?
Quo non nata jacent.
(Séneca, Las troyanas, acto II: "¿Quieres saber dónde estarás después de tu muerte? Donde están aquellos que aún no han nacido.")
Este otro le otorga la sensación del reposo a un cuerpo sin alma:
Neque sepulchrum quo recipiat, habeat portum corporis,
Ubi, remissa humana vita, corpus requiescat a malis
(Ennius citado por Cicerón en las Tusculanas: "Que no haya tumba para recibirlo, que no haya puerto donde, descargado del peso de la vida humana, su cuerpo descanse en paz.")
Del mismo modo que la naturaleza nos hace ver que muchas cosas muertas mantienen relaciones ocultas con la vida. El vino se altera en las bodegas siguiendo los cambios de las estaciones de la viña de la cual proviene. Y la carne de caza cambia de estado en los saladeros, y de sabor, según las leyes de la carne viva, según dicen.
Traducción de Miguel Ángel Frontán.