martes, 10 de diciembre de 2019

André Suarès y Ricardo Baeza: Visita a Dulcinea

VISITA  A DULCINEA

Nadie ha visto a Dulcinea, ni si­quiera Don Quijote. Nadie sabe quién es. Mas, hablando de ella, para que la rindan homenaje, Don Quijote se maravilla y dice: «¿Es posible, en verdad, que el nombre de una tan gran princesa no haya llegado a oídos vuestros?» Ha creado su quimera; ésta le crea en cambio. Hecha de él, lo conduce adondequiera se le antoja ir; lo arrebata. Esta historia es la de un gran corazón, y también la del es­píritu.
Hay un santo capítulo, en que San­cho cuenta su visita a Dulcinea (Primera parte, capítulo XXXI). Mientras más abruma Sancho el ideal bajo la realidad, más lo salva Don Quijote de la vulgaridad y lo transfi­gura en lo que quiere que sea. Con una risa inimitable, una jocosidad dig­na de Molière o de Aristófanes, es aquí la confrontación del sueño y de la vida, de la creación y del objeto, tan bella, tan conmovedora como cualquiera de Shakespeare. Y Don Quijote, hombre, y tan viril, nos emo­ciona más, y va más lejos en la me­lancolía de la risa, que la deliciosa hada Titania, acariciando a Bottom.
Además, para que nada falte en él, el final del capítulo encierra una al­mendra de ironía incomparable, con su semilla de gozosa amargura. Y si tiene tanto sabor, es porque es rica en ácido prúsico.
Cabalgando en su ensueño de Dul­cinea, diosa de belleza, dama de per­fección y de todo deleite, Don Quijo­te vuelve a tropezar con cierto arra­piezo, al que poco tiempo atrás liber­tara de manos de un amo verdugo. Creyó hacerle libre, pero el villano ha pagado la libertad de un instante a costa de toda suerte de males, cien veces más crueles que su esclavitud. «De todo lo cual tiene vuestra mer­ced la culpa», dice a Don Quijote, en cuanto se topa con él de nue­vo. «Por amor de Dios, señor caba­llero andante, que si otra vez me encontrare, aunque vea que me hacen pedazos, no me socorra ni ayude, sino déjeme con mi desgracia, que no será tanta, que no sea mayor la que me venga de la ayuda de vuestra mer­ced, a quien Dios maldiga y a todos cuantos caballeros andantes han na­cido en el mundo.» Tal es la conclu­sión del siglo y del orden común. Que el ideal pase de largo. Que cui­de de no echar pie a tierra, aunque sólo fuera por lástima hacia los pea­tones. Ni el empedrado, ni los talu­des, ni el carril se curan de su visita.
Sin embargo, ¡qué gloria para el tiempo en que vivimos!, toda Fran­cia ha montado a caballo y camina al lado de Don Quijote. Los hombres se han acomodado a la vida heroica, aun aquellos que menos pensaban en ella. El carril no es ya el lugar segu­ro, ni el empedrado, ni el lodo del camino. Una virtud semejante se pa­ga con tesoros de lágrimas y sangre.

Traducción de RICARDO BAEZA

VISITE À DULCINÉE

  Nul n’a vu Dulcinée, pas même Don Quichotte. Nul ne sait qui elle est. Or, parlant d’elle, pour qu’on lui rende hommage, Don Quichotte s’étonne et il dit : « Se peut-il, en vérité, que le nom d’une si grande princesse ne soit pas venu jusqu’à vous ? » Il a créé sa chimère ; elle le crée en retour. Faite de lui, elle le porte où il veut aller ; elle le ravit. Cette histoire est celle d’un grand cœur, et celle aussi de l’esprit.
  Il est un saint chapitre, où Sancho raconte sa visite à Dulcinée [Première partie, chapitre XXXI]. Plus Sancho accable l’idéal sous la réalité, plus Don Quichotte le sauve de la vulgarité commune et le transfigure en ce qu’il veut qu’il soit. Avec un rire inimitable, une gaîté digne de Molière ou d’Aristophane, c’est ici la confrontation du rêve et de la vie, de la création et de l’objet, aussi belle, aussi émouvante que toutes celles de Shakespeare. Et Don Quichotte étant homme, et si viril, nous touche plus, et va plus loin dans la mélancolie du rire, que la délicieuse fée, Titania, caressant Bottom.
  D’ailleurs, pour que rien n’y manque, la fin du chapitre recèle une amande d’ironie incomparable, avec son noyau de joyeuse amertume. Et s’il a tant de goût, c’est qu’il est riche en acide prussique.
  Chevauchant dans son rêve de Dulcinée, déesse de beauté, dame de perfection et de tout délice, Don Quichotte retrouve certain rustre, qu’il a délivré naguère, comme un maître bourreau le déchirait du poing et du fouet. Il a cru rendre libre ce valet. Mais le vilain a payé la liberté d’un instant par toute sorte de maux, cent fois plus cruels que son esclavage. « Votre Grâce en est la cause », dit-il à Don Quichotte, dès qu’il le revoit. « Que ne passiez-vous votre chemin ? Une autre fois ne me secourez plus, et laissez-moi dans la peine. La pire infortune pour les gens est celle qui leur vient de votre secours. Que Dieu vous maudisse donc, vous et tous ceux de votre espèce ! » Telle est bien la conclusion du siècle et de l’ordre commun. Que l’idéal passe son chemin. Qu’il ait bien soin de ne pas mettre pied à terre, ne fût-ce que par pitié des piétons. Ni le pavé, ni les talus, ni l’ornière ne se soucient de sa visite.
  Cependant, quelle gloire pour le temps où nous sommes, toute la France s’est mise à cheval et chemine aux côtés de Don Quichotte. Les hommes se sont rangés à la vie héroïque, ceux mêmes qui y pensaient le moins. L’ornière n’est plus le lieu sûr, ni le pavé, ni la boue du chemin. Une telle vertu se paie en trésors de larmes et de sang.