LA MURAILLE INTÉRIEURE
DE TOKYO
I
Non point la
forêt ni la grève, chaque jour le site de ma promenade est un mur.
Il y a toujours
un mur à ma droite.
Un mur que je
suis et qui me suit et que je déroule derrière moi en marchant et devant moi il
y a encore provision et fourniture.
Un mur
continuellement à ma droite.
À ma gauche il y
a la ville et les grandes avenues en partance vers toute la terre,
Mais il y a un
mur à ma droite.
(Mais le mur est
indécollable à ma droite),
Il y a toute une
ville sous mes pieds, tout un monde fragile dans le soir qui s'allume et qui
s'éteint.
Mais cela n'empêche
pas ce mur à ma droite,
Un mur qui ne me
conduit ailleurs que pour me ramener au même point,
Et quand je
fermerais les yeux je n'ai qu'à tendre la main
Pour vérifier
cette présence à ma droite.
II
Comme un homme qui
par transparence au soleil interroge une feuille de papier,
Ses yeux voient
le texte au recto, mais il devine en même temps le paysage qu'on a peint de
l'autre côté,
Ainsi quand au
Brésil devant moi Geneviève passait d'une page à l'autre page,
(Cependant que
les ponts sur la Marne fondaient et que les obus tombaient sur mon village).
Déjà de l'autre
côté du papier où les mots d'avance dessinent une ombre étrange,
Le paysage futur
se levait à travers une vapeur blanche.
III
Le sort d'un
point à un autre me promène sans aucune espèce d'égard ou de transition.
Il faut que je
m'arrange comme je peux de ce Brésil qui se juxtapose au Japon.
La vie des autres
va son pas dans le paysage continu ;
La mienne suit sa
ligne sur des feuilles interrompues.
Et parmi les
circonstances pour moi d'un seul coup qu’on déplace comme des panneaux de
papier,
Mon âme
furtivement passe entre les mondes décollés.
IV
Le pêcheur
attrape le poisson avec ce panier profondément enfoui au-dessous des vagues.
Le chasseur avec
cet invisible lac entre deux branches attrape les petits oiseaux.
Et moi, dit le
jardinier, pour attraper la lune et les étoiles il me suffit d'un peu d'eau —
et les cerisiers en fleur et les érables en feu, il me suffit de ce ruban d'eau
que je déroule.
Et moi, dit le
poète, pour attraper les images et les idées il me suffit de cet appât de
papier blanc, les dieux n'y passeront point sans y laisser leurs traces comme
les oiseaux sur la neige.
Pour tenter les
pas de l'Impératrice de la Mer il me suffit de ce tapis de papier que je
déroule ; pour faire descendre l'Empereur du Ciel il me suffit de ce rayon de
lune, il me suffit de cet escalier de papier blanc.
V
Je veux écrire un
poème qui invite l'esprit à la fois sur une triple route.
La première est
en haut celle des Saints au-dessus de nous, reprenant, recomposant chacun de
nos mouvements en une offrande solennelle, leur procession au-dessus de notre
histoire.
La seconde est le
poème lui-même comme un torrent de mots, comme une grande rue moderne tout
emplie d'une masse de peuple qui marche dans le même sens, chacun libre entre
ses voisins.
La troisième de l'autre côté du papier est ce
grand fleuve la nuit qu'on ne voit pas,
Il faut pour le
révéler cette poignée de roseaux tout à coup qui interrompt le courant, ce
pétillement de la lune sous le ventre d'une sarcelle,
Ou simplement une
mouche à feu et son reflet, cette unique paillette de feu qui révèle l'énorme
coulée invisible.
VI
Autour de mon
palais, dit le Roi, j'ai mis un anneau de ciel, déjà il me semble que je ne
tiens plus à la terre,
L'heure du
sommeil est venue, déjà il me semble que ça commence à être libre sous moi,
comme le ponton à la mer de minuit qui commence à se plaindre et à souffrir.
Que mes derniers
hôtes se hâtent ! (Je vois deux ou trois petites voitures là-bas avec leurs
lampions qui se hâtent à travers le désert de gravier.)
Nous allons
couper le dernier pont.
VII
Dans l’eau de l’antique
fossé toutes les choses se reflètent pêle-mêle, il n'y a aucune différence du près
ou du loin.
J'y vois la
chandelle du marchand de nouilles, une grosse étoile lui tient compagnie entre
ces deux feuilles de nénuphar.
La passoire du
marchand de beignets y est devenue éternelle et à côté j'y vois la navette de
la Tisseuse-Céleste : sa main pourrait aller de l'une à l'autre.
Ainsi dans le
poème que je n'ai pas écrit il n'y a aucune différence de temps ou de lieu,
toutes choses y sont réunies par une secrète intimité. La feuille qui a bougé,
c'est pour qu'une étoile brille.
Tout a cessé de
mourir.
VIII
Lecteurs,
suspends ton souffle de peur qu'une haleine profane ne détruise la surface
magique.
Le vent de la mer
a soufflé, en une seconde la page étendue devant toi fourmille d'une
innombrable écriture.
IX
Un seul
grattement de l'ongle et la cloche de Nara se met à gronder et à résonner.
Un mot rond sans
aucune tige qui s'épanouit tout seul en plein papier, un seul caractère que le
doigt n'achève pas sur le sable,
Une seule feuille
de saule sur le verre de l'étang, et le ciel tout entier avec ses étoiles et la
terre et le Palais des Rois et la ville que la vie a quittée
D'un bout à
l'autre de cette étoffe de sommeil se mettent à trembler et à frémir.
La lune au
Septième Étage du Ciel est atteinte par la ride imperceptible.
X
Une pensée et sa
réflexion.
Une branche et
son reflet, cette branche particulière avec ses feuilles au milieu des autres
feuilles.
Et tantôt le vent
l'agite au-dessus de l'eau en extase, patiente et toujours recommençant le même
signe, étudiant lentement la réponse,
Et tantôt c'est
elle qui reste immobile et c'est l'eau paresseusement qui s'émeut et désagrège
le reflet,
Répondant à ce
choc inconnu ailleurs là-bas.
XI
Je regarde à mes
pieds pour y trouver le soleil.
Je n'ai qu'à
baisser les yeux et tout ce qui n'était que confusion est devenu image dans un
cadre, le mouvement lui-même est incorporé à la durée de l'eau immobile.
À ce caractère
qui veut dire « l'eau » un point rouge a été mis qui l'arrête pour toujours.
Comme l'artiste
sur une feuille de papier de la pointe de son pinceau a fait un point n'importe
où,
Il rêve et ne
sait encore ce qu'il y ajoutera, femme, pin, la mer,
Ainsi mon regard
s'attache à cette marque rouge aux trois quarts de l'étang,
Non point le
soleil d'aujourd'hui, mais témoin submergé et œil de beaucoup de spectacles
consumés,
Comme la braise
d'un hibachi qui n'attendait que moi pour s'éteindre.
XII
J'habite
l'extérieur d'un anneau.
J'ai appris que
ce n'est point dehors, c'est dedans qu'est le mur dont je suis le prisonnier.
J'ai appris que
pour aller d'un point à un autre il est possible de passer partout excepté par
le centre.
Tokyo, juillet 1922.
LA MURALLA INTERIOR DE TOKIO
I
Ni el bosque ni la playa, cada día el lugar de
mi paseo es un muro,
Siempre hay un muro
a mi derecha.
Un muro que sigo y me sigue y que desenrollo
detrás de mí caminando y ante mí hay aún provisión y entrega.
Un muro continuamente
a mi derecha.
A mi izquierda está la ciudad y las grandes
avenidas partiendo hacia toda la tierra.
Pero hay un muro a
mi derecha.
Doy la vuelta (en la estación del tranvía) y
sé que por allá está el mar,
Pero el muro no se
puede despegar a mi derecha,
Hay toda una ciudad a mis pies, todo un mundo
frágil en el anochecer que se ilumina y que se apaga.
Pero eso no impide
ese muro a mi derecha,
Un muro que no me lleva a otra parte sino para
reconducirme al mismo punto,
Y aunque cerrara los ojos, sólo tengo que
extender mi mano
Para verificar esta
presencia a mi derecha.
II
Como un hombre que en la transparencia del sol interroga una hoja
de papel,
sus ojos ven el texto en el anverso, pero
adivina a la vez el paisaje pintado del otro lado,
así cuando en Brasil ante mí Genoveva pasaba
de una página a otra,
(Mientras los puentes sobre el Marne se
fundían y los obuses caían sobre mi pequeño pueblo),
ya del otro lado del papel donde las palabras
primero dibujan una sombra extraña,
el paisaje futuro se elevaba a través de un
vapor blanco.
III
El destino de un punto a otro me pasea sin
ninguna especie de consideración o transición.
Debo arreglarme como pueda con el Brasil que
se yuxtapone al Japón.
La vida de los demás sigue su marcha en el
paisaje continuo.
La mía sigue su línea sobre hojas
interrumpidas.
Y entre las circunstancias que para mí de un
solo golpe se desplazan como paneles de papel,
mi alma furtivamente pasa entre los mundos
despegados.
IV
El pescador atrapa los peces con la canasta
profundamente hundida bajo las olas.
El cazador con ese lazo invisible entre dos
ramas atrapa los pajaritos.
Y yo, dice el jardinero, para atrapar a la
luna y las estrellas me basta un poco de agua,
y los cerezos en flor y los arces encendidos,
me basta esta cinta de agua que desenrollo.
Y yo, dice el poeta, para atrapar las imágenes
y las ideas me basta este señuelo de papel blanco, los dioses no pasarán sin
dejar allí sus huellas como los pájaros en la nieve.
Para tentar los pasos de la Emperatriz del Mar me
basta este tapiz de papel que desenrollo, para hacer bajar al Emperador del
Cielo me basta este rayo de luna, me basta esta escalera de papel blanco.
V
Quiero escribir un poema que invite al
espíritu a una triple ruta al mismo tiempo.
La primera es arriba, la de los Santos por
encima de nosotros retomando, recomponiendo cada uno de nuestros movimientos en
una ofrenda solemne, su procesión por encima de nuestra historia.
La segunda es el poema mismo como un torrente
de palabras, como una gran calle moderna llena de una masa de pueblo que marcha
en el mismo sentido, cada uno libre entre sus vecinos.
La tercera del otro lado del papel es este
gran río que no se ve,
para revelarlo hace falta este puñado de
juncos que de pronto interrumpe la corriente, este centelleo de la luna bajo el
vientre de un ánade,
o simplemente una luciérnaga y su reflejo,
esta única lentejuela de fuego que revela la enorme corriente invisible.
VI
En torno a mi palacio, dice el Rey, puse un
anillo de cielo, ya me parece que no me retiene la tierra,
la hora del sueño ha llegado, me parece ya que
debajo de mí se empieza a estar libre, como el pontón en el mar de medianoche
que empieza a quejarse y a sufrir.
Que mis últimos huéspedes se apuren (veo dos o
tres pequeños autos con sus faros que se apuran a través del desierto de
grava).
Vamos a cortar el último puente.
VII
En el agua del foso antiguo todas las cosas se
reflejan confusas, no hay diferencia entre cerca y lejos.
Veo allí la candela del vendedor de pastas,
una gran estrella lo acompaña entre esas dos hojas de nenúfar.
El colador del vendedor de buñuelos se ha vuelto eterno y al lado veo la
lanzadera de la
Tejedora Celeste ; su mano podría ir de uno a otra.
Así en el poema que no he escrito no hay
diferencia alguna de tiempo o lugar, todas las cosas están allí reunidas por
una secreta intimidad. La hoja que se movió es para que una estrella brille.
Todo cesó de morir.
VIII
Lector, suspende tu aliento no sea que un
hálito profano destruya la superficie mágica.
El viento del mar ha soplado, en un segundo la
página extendida ante ti hormiguea con una escritura innumerable.
IX
Un solo raspado de la uña y la campana de Nara
se pone a tronar y a resonar.
Una palabra redonda sin tallo alguno que se
abre por sí sola en pleno papel, un solo carácter
que el dedo no termina sobre la arena,
y toda el alma se conmueve en las
profundidades superpuestas de su inteligencia.
Una sola hoja de sauce sobre el vidrio del
estanque y el cielo entero con sus estrellas y la tierra y el Palacio de los
Reyes y la ciudad que la vida abandonó,
de una punta a otra de esta tela de sueño
comienzan a temblar y a estremecerse.
La luna en el Séptimo Piso del Cielo es
alcanzada por la onda imperceptible.
X
Un pensamiento y su reflexión.
Una rama y su reflejo. Esta rama particular
con sus hojas en medio de otras hojas.
Y ora el viento la agita por encima del agua
extasiada, paciente, y recomenzando siempre
el mismo signo, estudiando lentamente la
respuesta.
Y ora es ella que se queda inmóvil y es el
agua quien perezosamente se conmueve
y descompone el reflejo.
Respondiendo allá a este choque, en otra parte
ignoto.
XI
Miro a mis pies para encontrar allí el sol.
Solo tengo que bajar los ojos y todo lo que
era solo confusión se ha convertido en una imagen, en un cuadro, el movimiento
mismo se ha incorporado a la duración del agua inmóvil.
A ese carácter que significa el agua se
le ha puesto un punto rojo que la detiene para siempre.
Como el artista en una hoja con la punta del
pincel hizo un punto en cualquier parte,
sueña y no sabe aún lo que va a añadir, mujer,
pino, el mar,
así mi mirada se detiene en esta marca roja a
tres cuartos del estanque,
no el sol del día de hoy, sino testimonio sumergido y ojo de
muchos espectáculos consumidos,
como la brasa de un hibachi que sólo me
esperaba a mí para apagarse.
XII
Habito el exterior de un anillo.
Aprendí que no es afuera, es adentro donde
está el muro del que soy prisionero.
Aprendí que para ir de un punto a otro es
posible pasar por todas partes excepto por el centro.
Tokio, julio 1922.
Traducción al español de PABLO WILLIAMS.