LÉON BLOY L’INTEMPESTIF
« Il est indispensable que la
Vérité soit dans la Gloire. » Léon Bloy.
« Tout ce qui est moderne est du
démon », écrit Léon Bloy, le 7 Août 1910. C’était, il nous semble, bien avant
les guerres mondiales, les bombes atomiques et les catastrophes nucléaires, les
camps de concentration, les manipulations génétiques et le totalitarisme
cybernétique. En 1910, Léon Bloy pouvait passer pour un extravagant ; désormais
ses aperçus, comme ceux du génial Villiers de L’Isle-Adam des Contes Cruels, sont d’une pertinence
troublante. L’écart se creuse, et il se creuse bien, entre ceux qui somnolent à
côté de leur temps et ne comprennent rien à ses épreuves et à ses horreurs, et
ceux-là qui, à l’exemple de Léon Bloy, vivent au cœur de leur temps si
exactement qu’ils touchent ce point de non-retour où le temps est compris, jugé
et dépassé. Léon Bloy écrit dans l’attente de l’Apocalypse. Tous ces
événements, singuliers ou caractéristiques qui adviennent dans une temporalité
en apparence profane, Léon Bloy les analyse dans une perspective sacrée.
L’histoire visible, que Léon Bloy est loin de méconnaître, n’est pour lui que
l’écho d’une histoire invisible.
« Tout n’est qu’apparence, tout
n’est que symbole, écrit Léon Bloy. Nous sommes des dormants qui crient dans
leur sommeil. Nous ne pouvons jamais savoir si telle chose qui nous afflige
n’est pas le principe de notre joie ultérieure ».
Cette perspective symbolique est la
plus étrangère qui soit à la mentalité moderne. Pour le Moderne, le temps et
l’histoire se réduisent à ce qu’ils paraissent être. Pour Bloy, le temps n’est,
comme pour Platon et la Théologie médiévale, que « l’image mobile de l’éternité
» et l’histoire délivre un message qu’il appartient à l’écrivain-prophète de
déchiffrer et de divulguer à ses semblables. Pour Léon Bloy, le Journal, loin
de se borner à la description psychologique de son auteur, a pour dessein de
consigner les « signes » et les «
intersignes » de l’histoire visible et invisible afin de favoriser le retour du
temps dans la structure souveraine de l’éternité.
Pour Léon Bloy, qui se définit lui-même
comme « un esprit intuitif et d’aperception lointaine, par conséquent toujours
aspiré en deçà ou au-delà du temps », la fonction de l’auteur écrivant son
journal n’est pas de se soumettre à la temporalité fugitive, mais, tout au
contraire, « d’envelopper d’un regard unique la multitude infinie des gestes
concomitants de la Providence ». Le Journal, – tout en marquant le pas, en
laissant retentir en soi, et dans l’âme du lecteur ami, la souffrance ou la
joie, plus rare, de chaque jour, les « nouveautés » menues ou grandioses du
monde -, ne s’inscrit pas moins dans une rébellion contre le fragmentaire, le
relatif ou l’éphémère. Ce Journal, et c’est en quoi il décontenance un lecteur
moderne, n’a d’autre dessein que de déchiffrer la grammaire de Dieu.
Là où le Moderne ne
distingue que des vocables sans suite, de purs signes arbitraires, Léon Bloy
devine une cohérence éblouissante, et, par certains égards, vertigineuse et
terrifiante. Léon Bloy n’est pas de ces dévots qui trouvent dans la foi et dans
l’Église de quoi se rassurer. Ces dévots modernes, bourgeois au sens
flaubertien, Léon Bloy les fustige ainsi que la « société sans grandeur ni
force » dont ils sont les défenseurs. Il est fort improbable, quoiqu’en disent
les journaleux peu informés qui voient en Bloy un « intégriste », que l’auteur
du Désespéré et de La Femme Pauvre se fût retrouvé du côté de nos actuels, trop
actuels « défenseurs des valeurs », moralisateurs sans envergure ni générosité,
– et par voie de conséquence, sans le moindre sens de la rébellion. Or s’il est un mot qui
qualifie avec précision la tournure d’esprit de cet homme de Tradition, c’est
rebelle !
Pour Léon Bloy, quel que soit par
moment son harassement, le combat n’est pas fini, il y retourne, chaque jour
est le moment décisif d’une guerre sainte. Léon Bloy est un moine-soldat qui va
son chemin d’écrivain, non sans donner ici et là quelques coups de massue, pour
reprendre la formule évolienne. Ainsi le sport, objet, depuis peu, d’un nouveau
culte national est-il, pour Léon Bloy « le moyen le plus sûr de produire une
génération d’infirmes et de crétins malfaisants ». Quant à la Démocratie, bien
vantée, elle lui suggère cette réflexion : « Un des inconvénients les moins
observés du suffrage universel, c’est de contraindre des citoyens en
putréfaction à sortir de leurs sépulcres pour élire ou pour être élus ». Cette
outrance verbale dissimule souvent une intuition. Tout, dans ce monde planifié,
ne conjure-t-il pas à faire de nous une race de morts-vivants, réduits à la
survie, dans une radicale dépossession spirituelle. Que sont les Modernes
devant leurs écrans ? Quel songe de mort les hante ? Les rêveries du Moderne ne
sont-elles pas avant tout macabres ? Non, la religion de Léon Bloy n’est pas
faite pour les « tièdes ». C’est une religion pour ceux qui ressentent les
grandes froidures et qui attendent l’embrasement des âmes et des esprits. Le
modèle littéraire de Léon Bloy ce sont les langues de feu de la Pentecôte.
Léon Bloy s’est nommé lui-même « Le
Pèlerin de l’Absolu ». Chaque jour qui advient, et que l’auteur traverse comme
une nouvelle épreuve où se forge son courage et son style, le rapproche du
moment crucial où apparaîtront dans une lumière parfaite la concordance de
l’histoire visible et de l’histoire invisible. Cette quête que Léon Bloy
partage avec Joseph de Maistre et Balzac le conduit à une vision du monde
littéralement liturgique. L’histoire de l’univers, comme celle de l’auteur
esseulé dans son malheur et dans son combat, est « un immense Texte liturgique
». Les Symboles, ces « hiéroglyphes divins », corroborent la réalité où ils
s’inscrivent, de même que les actes humains sont « la syntaxe infinie d’un
livre insoupçonné et plein de mystères ».
Cette vision symbolique et théologique
du monde en tant que Mystère limpide, c’est à dire offert à l’illumination («
l’illumination, lieu d’embarquement de tout enseignement théologique et
mystique ») est à la fois la cause majeure de l’éloignement de l’œuvre de Léon
Bloy et le principe de sa proximité extrême. Pour le moderne, la « folie » de
Léon Bloy n’est pas dans sa véhémence, ni dans son lyrisme polémique, mais bien
dans cette vision métaphysique et surnaturelle des destinées humaines et
universelles. Pour Léon Bloy, qui n’est point hégélien, et qui va jusqu’à
taquiner Villiers pour son hégélianisme « magique », les contraires
s’embrassent et s’étreignent avec fougue. La nature porte la marque de la
Surnature, mais par un vide qui serait l’empreinte du Sceau. De même, l’extrême
pauvreté engendre le style le plus fastueux. C’est précisément car l’écrivain
est pauvre que son style doit témoigner de la plus exubérante richesse. La
pauvreté matérielle est ce vide qui laisse sa place à la dispendieuse nature
poétique. Car la pauvreté, pour Bloy, n’est pas le fait du hasard, elle est la
preuve d’une élection, elle est le signe visible d’un privilège invisible qu’il
appartient à l’Auteur de célébrer somptueusement.
La richesse verbale de Léon Bloy est
toute entière un hommage à la pauvreté, à sa profondeur lumineuse, à la grâce
qu’elle fait à la générosité de se manifester. Celui qui donne se sauve. Le
mendiant peut donc à bon droit être « ingrat ». Son ingratitude rédime celui
qui pourrait s’en offenser. Mais qu’est-ce qu’un pauvre, dans la perspective
métaphysique ? C’est avant tout celui qui récuse par avance toute vénalité. Or
qu’est-ce que le monde moderne si ce n’est un monde qui fait de la vénalité
même un principe moral, une cause efficiente du Bien et « des biens » ? Pour le
Moderne, celui qui parvient à se vendre prouve son utilité dans la société et
donc sa valeur morale. Celui qui ne parvient pas, ou, pire, qui ne veut pas se
vendre est immoral.
Contre ce sinistre état de fait,
qui pervertit l’esprit humain, l’œuvre de Léon Bloy dresse un grandiose et
intarissable réquisitoire. Or, c’est bien ce réquisitoire que les Modernes ne
veulent pas entendre et qu’ils cherchent à minimiser en le réduisant à la «
singularité » de l’auteur. Certes Léon Bloy est singulier, mais c’est d’abord
parce qu’il se veut religieusement « un Unique pour un Unique ». La situation
dans laquelle il se trouve enchaîné n’en est pas moins réelle et la description
qu’il en donne particulièrement pertinente en ces temps où, face à la marchandise
mondiale, le Pauvre est devenu encore beaucoup plus radicalement pauvre qu’il
ne l’était au XIXe siècle. La morale désormais se confond avec le Marché, et
l’on pourrait presque dire que, pour le Moderne libéral, la notion d’immoralité
et celle de non-rentabilité ne font plus qu’une. Refuser ce règne de
l’économie, c’est à coup sûr être ou devenir pauvre et accueillir en soi les
gloires du Saint-Esprit, dont la nature dispensatrice, effusive et lumineuse ne
connaît point de limite.
Contre le monde moderne, Léon Bloy
ne convoque point des utopies sociales, ni même un retour au « religieux » ou à
quelque manifestation « révolutionnaire » ou « contre-révolutionnaire » de la
puissance temporelle. Contre ce monde, « qui est du démon », Léon Bloy évoque
le Saint-Esprit, au point que certains critiques ont cru voir en lui un de ces
mystiques du « troisième Règne », qui prophétisent après le règne du Père, et
le règne du Fils, la venue d’un règne du Saint-Esprit coïncidant avec un retour
de l’Age d’Or. Lorsqu’un véritable écrivain s’empare d’une vision dont la
justesse foudroie, peu importent les terminologies. Sa vision le précède, elle
n’en précède que mieux les interprétations historiographiques. « Aussi
longtemps que le Surnaturel n’apparaîtra pas manifestement, incontestablement,
délicieusement, il n’y aura rien de fait ».
LÉON BLOY, EL EXTEMPORÁNEO
“Es
indispensable que la Verdad esté en la Gloria.” Léon Bloy.
“Todo lo
moderno pertenece al demonio”, escribe Léon Bloy el 7 de agosto de 1910. Fue,
según nos parece, mucho antes de las guerras mundiales, las bombas atómicas y
las catástrofes nucleares, los campos de concentración, las manipulaciones
genéticas y el totalitarismo cibernético. En 1910, a Léon Bloy se lo podía
tomar por un extravagante; hoy en día sus vislumbres, como los del genial
Villiers de L’Isle-Adam de los Cuentos
crueles, son de una pertinencia turbadora. Aumenta, y cada vez más, la
distancia entre los que dormitan al margen de su época y no comprenden nada de
las pruebas y los horrores a los que nos somete, y los que, a ejemplo de Léon
Bloy, viven tan precisamente en el centro mismo de su época que alcanzan ese
punto de no retorno en el que se la comprende, se la juzga y se la supera. Léon
Bloy escribe a la espera del Apocalipsis. Todos esos acontecimientos,
singulares o característicos, que se producen en una temporalidad aparentemente
profana, Léon Bloy los analiza en una perspectiva sagrada. La historia visible,
que Léon Bloy está lejos de desconocer, sólo es para él el eco de una historia
invisible.
“Todo es pura
apariencia, todo es puro símbolo”, escribe Léon Bloy. “Somos durmientes que
gritan durante el sueño. Nunca podemos sabes si algo que nos aflige no es el
principio de nuestra dicha ulterior.”
Esta
perspectiva simbólica es la más ajena posible a la mentalidad moderna. Para el
Moderno, el tiempo y la historia se reducen a lo que parecen ser. Para Bloy, el
tiempo sólo es, como para Platón y la teología medieval, “la imagen móvil de la
eternidad”, y la historia comunica un mensaje que al escritor-profeta le toca
descifrar y divulgar entre sus semejantes. Para Léon Bloy, el Diario, lejos de limitarse a la
descripción psicológica de su autor, tiene por objetivo el de dejar registrados
los “signos” y los “intersignos” de la historia visible e invisible, a fin de
favorecer el retorno del tiempo en la estructura soberana de la eternidad.
Para Léon
Bloy, que se define a sí mismo como “un espíritu intuitivo y de apercepción
lejana, y, por consiguiente, siempre arrastrado más acá o más allá del tiempo”,
la función del autor al escribir su diario no es la de someterse a la
temporalidad fugitiva sino, muy por el contrario, la de “abarcar con una mirada
única la multitud infinita de los gestos concomitantes de la Providencia”. El Diario
—al mismo tiempo que marca el paso, dejando resonar en sí mismo, y en el alma
del lector amigo, el sufrimiento o la dicha, menos frecuente, de cada día, las
“novedades” modestas o grandiosas del mundo— no deja de inscribirse en una
rebelión contra lo fragmentario, lo relativo o lo efímero. Este Diario, que en esto desconcierta a un
lector moderno, no tiene otra finalidad que la de descifrar la gramática de
Dios.
Allí donde
el Moderno sólo distingue vocablos inconexos, puros signos arbitrarios, Léon
Bloy intuye una coherencia deslumbrante y, en ciertos aspectos, vertiginosa y
aterradora. Léon Bloy no es uno de esos devotos que encuentran en la fe y en la
iglesia con qué tranquilizarse. A esos devotos modernos, burgueses en el
sentido de Flaubert, Léon Bloy los fustiga al igual que a la “sociedad sin
grandeza ni fuerza” que defienden. Es altamente improbable, digan lo que digan
los periodistuchos poco informados que ven en Bloy a un “integrista”, que el
autor de El desesperado y de La mujer pobre hubiese estado en el
mismo campo de nuestros actuales, demasiado actuales “defensores de los
valores”, moralizadores sin envergadura ni generosidad —y, por consiguiente,
sin el menor sentido de la rebelión. Ahora bien, si hay una palabra que define
con precisión la mentalidad de este hombre de Tradición, esta palabra es “rebelde”.
Para Léon
Bloy, por más extenuado que esté por momentos, el combate no ha terminado,
vuelve a él, cada día es el momento decisivo de una guerra santa. Léon Bloy es
un monje soldado que sigue su camino de escritor, no sin dar acá y allá algunos
mazazos, para emplear la expresión de Julius Evola. Así es como el deporte,
objeto, desde hace poco, de un nuevo culto nacional, es para Léon Bloy “el
medio más seguro de producir una generación de inválidos y de cretinos
dañinos”. En cuanto a la Democracia, tan ensalzada, le sugiere esta reflexión:
“Uno de los inconvenientes menos observados del sufragio universal es el hecho
de obligar a ciudadanos en estado de putrefacción a salir de su sepulcros para
elegir o ser elegidos”. Esta desmesura verbal a menudo disimula una intuición.
¿Acaso no conspira todo, en este mundo planificado, para hacer de nosotros una
raza de muertos vivos, reducidos a sobrevivir en una radical desposesión
espiritual? ¿Qué son los Modernos delante de sus pantallas? ¿Qué sueño de
muerte los posee? ¿Las Ensoñaciones del Moderno no son, ante todo, macabras?
No, la religión de Léon Bloy no está hecha para los “tibios”. Es una religión para
quienes sienten los grandes fríos y esperan el incendio de las almas y los
espíritus. El modelo literario de Léon Bloy son las lenguas de fuego de
Pentecostés.
Léon Bloy
se llamó a sí mismo “El Peregrino del Absoluto”. Cada día que llega, y que el
autor atraviesa como una nueva prueba en que se templan su coraje y su estilo,
lo acerca al momento crucial en que aparecerán con perfecta claridad la
concordancia entre la historia visible y la historia invisible. Esta búsqueda,
que Léon Bloy comparte con Joseph de Maistre y Balzac, lo conduce a una visión
del mundo literalmente litúrgica. La historia del universo, tanto como la del
autor aislado en su desdicha y en su combate, es “un inmenso Texto litúrgico”.
Los Símbolos, esos “jeroglíficos divinos”, corroboran la realidad en que se
inscriben, así como los actos humanos son “la sintaxis infinita de un libro
insospechado y lleno de misterios”.
Esta visión
simbólica y teológica del mundo como Misterio límpido, es decir, alcanzable por
la iluminación (“la iluminación, punto de embarque de toda enseñanza teológica
y mística”), es, al mismo tiempo, la causa principal de lo alejado de la obra
de Léon Bloy y el principio de su cercanía extrema. Para el moderno, la “locura”
de Léon Bloy no reside en su vehemencia ni en su lirismo polémico, sino
precisamente en esta visión metafísica y sobrenatural de los destinos humanos y
universales. Para Léon Bloy, que no es en absoluto hegeliano, y que hasta llega
a burlarse de Villiers de l’Isle-Adam por su hegelianismo “mágico”, los
contrarios se abrazan y se estrechan con ardor. La naturaleza tiene la impronta
de la Sobrenaturaleza, pero por medio de un vacío que fuese la marca del Sello.
De igual modo, la extrema pobreza engendra el estilo más fastuoso. Es
precisamente porque el escritor es pobre por lo que su estilo debe dar
testimonio de la riqueza más exuberante. La pobreza material es el vacío que le
cede el lugar a la dispendiosa naturaleza poética. Ya que la pobreza, para Bloy,
no es el resultado del azar: es la prueba de una elección, es el signo visible
de un privilegio invisible que le incumbe al Autor celebrar suntuosamente.
La riqueza
verbal de Léon Bloy es toda ella un homenaje a la pobreza, a su profundidad
luminosa, al favor que le hace a la generosidad permitiéndole manifestarse. El
que da, se salva. El mendigo puede entonces, con toda razón, ser “ingrato”. Su
ingratitud redime al que podría tomarla como una ofensa. Pero ¿qué es un pobre,
en la perspectiva metafísica? Es, ante todo, aquél que rechaza de antemano toda
venalidad. Ahora bien, ¿qué es el mundo moderno sino un mundo que hace de la
venalidad misma un principio moral, una causa eficiente del Bien y de “los
bienes”? Para el Moderno, el que logra venderse prueba su utilidad en la
sociedad y, por lo tanto, su valor moral. El que no logra o, peor aún, no
quiere venderse, es inmoral.
Contra esta
siniestra situación de hecho, que pervierte el espíritu humano, la obra de Léon
Bloy lanza una grandiosa e inagotable acusación. Ahora bien, es precisamente
esta acusación lo que los Modernos no quieren oír y tratan de minimizar,
reduciéndola a la “singularidad” del autor. Por cierto, Léon Bloy es singular,
pero esto es, en primer término, porque elige ser, religiosamente, “un Único
para un Único”. La situación en que se encuentra encadenado no es por esto
menos real, y la descripción que da de ella es particularmente pertinente en
estos tiempos en que, ante la mercancía mundial, el Pobre se ha vuelto aún
mucho más radicalmente pobre de lo que lo era en el siglo XIX. La moral, ahora,
se confunde con el Mercado, y casi podríamos decir que, para el Moderno
liberal, la noción de inmoralidad y la de no rentabilidad no son más que una y
la misma. Rechazar este reino de la economía es, con toda seguridad, ser o
volverse pobre, y acoger en uno mismo las glorias del Espíritu Santo, cuya
naturaleza dispensadora, efusiva y luminosa no conoce límite alguno.
Contra el
mundo moderno, Léon Bloy no llama a ninguna utopía social, ni siquiera a un
regreso a lo “religioso” o a alguna manifestación “revolucionaria” o
“contrarrevolucionaria” del poder temporal. Contra este mundo, “que pertenece
al demonio”, Léon Bloy invoca al Espíritu Santo, hasta el punto de que algunos
críticos han creído ver en él a uno de esos místicos del “Tercer Reino” que
profetizan, para después del Reino del Padre y del Reino del Hijo, el
advenimiento de un reino del Espíritu Santo que coincidirá con un retorno a la
Edad de Oro. Cuando un auténtico escritor se apodera de una visión de exactitud
fulminante, poco importan las terminologías. Su visión le precede y, por lo mismo, mejor aún precede a las
interpretaciones historiográficas. “Mientras lo Sobrenatural no se muestre de
modo manifiesto, indiscutible, delicioso, nada estará hecho.”
Traducción de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán.