lunes, 18 de abril de 2011

Oscar Wladislas de Lubicz Milosz: Cuatro poemas



Le vieux jour

Le vieux jour qui n’a pas de but veut que l’on vive
Et que l’on pleure et se baigne avec sa pluie et son vent.
Pourquoi ne veut-il pas dormir toujours à l’auberge des nuits
Le jour qui menace les heures de son bâton de mendiant ?

La lumière est tiède aux dortoirs de l’hôpital de la vie ;
La blancheur patiente des murs est faite de chères pensées.
Et la pitié qui voit que le bonheur s’ennuie
Fait neiger le ciel vide sur les pauvres oiseaux blessés.

Ne réveille pas la lampe, ce crépuscule est notre ami,
Il ne vient jamais sans nous apporter un peu de bon vieux temps.
Si tu le chassais de notre chambre, la pluie et le vent
Se moqueraient de son triste manteau gris.

Ah ! certes, s’il existe une douceur ici-bas
Ce ne peut être qu’aux vieux cimetières graves et bons
Où la faiblesse ne dit plus oui, où l’orgueil ne dit plus non,
Où l’espoir ne tourmente plus les hommes las.

Ah ! certes, là-bas, sous les croix, près de la mer indifférente
Qui ne songe qu’au temps jadis, tous les chercheurs
Trouveront enfin leurs âmes aux sourires anxieux d’attente
Et les consolations sûres des nuits meilleures.

Verse cet alcool dans le feu, ferme bien la porte,
Il y a dans mon cœur des abandonnés qui grelottent.
On dirait vraiment que toute la musique est morte
Et les heures sont si longues !

Non, je ne veux pas plus voir en toi l’amie :
Ne sois qu’une chose extrêmement douce, crois-moi,
Une fumée au toit d’une chaumière, dans le soir :
Tu as le visage de la bonne journée de ta vie.

Pose ta douce tête d’automne sur mes genoux, raconte-moi
Qu’il y a un grand navire, tout seul, tout seul, sur la mer ;
N’oublie pas de me dire que ses lumières ont froid
Et que ses vêtements de toile font rire l’hiver.

Parle-moi des amis qui sont morts il y a longtemps.
Ils dorment dans des tombeaux que nous ne verrons jamais,
Là-bas bien loin, dans un pays couleur de silence et de temps.
S’ils revenaient comme nous saurions les aimer !

Dans le cabaret près du fleuve il y a de vieux orphelins
Qui chantent parce que le silence de leurs âmes leur fait peur.
Debout sur le seuil d’or de la maison des heures
L’ombre fait le signe de la croix sur le pain et le vin.

(Les sept solitudes)


El viejo día

El viejo día sin meta quiere que vivamos
Y que lloremos y nos empapemos con su lluvia y su viento.
¿Por qué no quiere dormir siempre en el albergue de las noches
El día que amenaza las horas con su palo de mendigo?

Tibia es la luz en los dormitorios del hospital de la vida;
Queridos pensamientos forman el paciente blancor de los muros.
Y la piedad que ve que la dicha se aburre
Hace nevar el cielo vacío sobre los pobres pájaros heridos.

No despiertes la lámpara, el crepúsculo es nuestro amigo,
Nunca viene sin traernos un poco de buen viejo tiempo.
Si lo echases de nuestra habitación, la lluvia y el viento
Se burlarían de su triste manto gris.

Por cierto, ah, si existe dulzura aquí abajo
Sólo puede estar en los viejos cementerios graves y buenos
Donde ya no dice sí la debilidad, donde el orgullo ya no dice no,
Donde la esperanza no atormenta más a los hombres cansados.

Por cierto, ah, allá, bajo las cruces, cerca del mar indiferente
Que sólo piensa en el tiempo pasado, los que buscan
Hallarán por fin sus almas de sonrisas ansiosas por la espera
Y los seguros consuelos de las noches mejores.

Echa al fuego este alcohol, cierra bien la puerta,
Hay en mí pecho seres abandonados que tiritan de frío.
Se diría realmente que toda la música está muerta
Y las horas son tan largas.

No, no quiero verte más como mi amiga:
Sólo debes ser algo, créeme, sumamente grato,
Humo en el techo de una choza, en el ocaso:
Tienes el rostro de la buena jornada de tu vida.

Posa tu dulce cabeza otoñal en mis rodillas, cuéntame
Que hay un gran navío, muy solo, muy solo, mar adentro;
No olvides decirme que sus luces tienen frío
Y que sus ropajes de tela le dan risa al invierno.

Háblame de los amigos muertos desde hace largo tiempo.
Duermen en tumbas que no veremos nunca jamás,
Allá muy lejos, en un país color de silencio y de tiempo.
Si volviesen, ¡cómo sabríamos amarlos!

En la taverna junto al río hay viejos huérfanos
Que cantan porque el silencio de sus almas les da miedo.
De pie en el umbral de oro de la casa de las horas
La sombra hace el signo de la cruz sobre el vino y el pan.


Dans un pays d’enfance...

Dans un pays d’enfance retrouvée en larmes,
Dans une ville de battements de cœurs morts,
(De battements d’essor tout un berceur vacarme,
De battements d’ailes des oiseaux de la mort,
De clapotis d’ailes noires sur l’eau de mort).
Dans un passé hors du temps, malade de charme,
Les chers yeux de deuil de l’amour brûlent encore
D’un doux feu de minéral roux, d’un triste charme ;
Dans un pays d’enfance retrouvée en larmes…
—Mais le jour pleut sur le vide de tout.

Pourquoi m’as-tu souri dans la vieille lumière
Et pourquoi, et comment m’avez-vous reconnu
Etrange fille aux archangéliques paupières,
Aux riantes, bleuies, soupirantes paupières,
Lierre de nuit d’été sur la lune des pierres ;
Et pourquoi et comment, n’ayant jamais connu
Ni mon visage, ni mon deuil, ni la misère
Des jours, m’as-tu si soudainement reconnu
Tiède, musicale, brumeuse, pâle, chère,
Pour qui mourir dans la nuit grande de tes paupières ?
—Mais le jour pleut sur le vide de tout.

Quels mots, quelles musiques terriblement vieilles
Frissonnent en moi de ta présence irréelle,
Sombre colombe des jours loin, tiède, belle,
Quelles musiques en écho dans le sommeil ?
Sous quels feuillages de solitude très vieille,
Dans quel silence, quelle mélodie ou quelle
Voix d’enfant malade vous retrouver, ô belle,
O chaste, ô musique entendue dans le sommeil ?
—Mais le jour pleut sur le vide de tout.

(Les sept solitudes)


En un país de infancia...

En un país de infancia vuelta a encontrar, llorando,
En una ciudad de latidos de corazones muertos,
(Arrullador estrépito de vuelos que comienzan
De aleteos de los pájaros de la muerte,
Chapotear de alas negras en el agua de muerte).
En un pasado fuera del tiempo, enfermo de encanto,
Los queridos ojos de luto del amor arden aún
Con suave fuego de mineral rojizo, con triste encanto;
En un país de infancia vuelta a encontrar, llorando...
-Pero sobre el vacío de todo llueve el día.

¿Por qué, por qué me sonreíste en la luz vieja
Y por qué y cómo me reconociste,
Extraña joven de arcangélicos párpados,
De risueños, azulados, suspirantes párpados,
Hiedra de noche de estío en la luna de las piedras;
Y por qué y cómo, sin haber conocido nunca
Ni mi cara, ni mi duelo, ni la miseria
De los días, me reconociste tan repentinamente
Tibia, musical, brumosa, pálida, querible,
Por quien morir en la noche grande de tus párpados?
-Pero sobre el vacío de todo llueve el día.

¿Qué palabras, qué músicas terriblemente viejas
Con tu presencia irreal tiemblan en mí,
Paloma obscura de los días lejos, tibia, bella,
Qué ecos de músicas en el sueño?
¿Debajo de qué frondas de soledad muy vieja,
En qué silencio, en qué melodía, en qué
Voz de niño enfermo volver a hallarte, oh bella,
Oh casta, oh música oída en sueños?
-Pero sobre el vacío de todo llueve el día.


Les terrains vagues

Comment m’es-tu venu, ô toi si humble, si chagrin ? Je ne sais plus.
Sans doute comme la pensée de la mort, avec la vie même.
Mais de ma Lithuanie cendreuse aux gorges d’enfer du Rummel,
De Bow-Street au Marais et de l’enfance à la vieillesse

J’aime (comme j’aime les hommes, d’un vieil amour
Usé par la pitié, la colère et la solitude) ces terrains oubliés
Où pousse, ici trop lentement et là trop vite,
Comme les enfants blancs dans les rues sans soleil, une herbe

De ville, froide et sale, sans sommeil, comme l’idée fixe,
Venue avec le vent du cimetière, peut-être
Dans un de ces ballots d’étoffe noire, lisse et lustrée, oreillers
Des vieilles dormeuses des berges, dans les terribles crépuscules.

De toute ma jeunesse consumée dans le sud
Et dans le nord, j’ai surtout retenu ceci : mon âme
Est malade, passante, comme l’herbe altérée des murs,
Et on l’a oubliée, et on la laisse ici.

J’en sais un qu’obscurcit un cèdre du Liban ! Vestige
De quelque beau jardin de l’amour virginal. Et je sais, moi, que le saint arbre
Fut planté là, jadis, en son doux temps, afin
De porter témoignage ; et le serment tomba dans la muette éternité,

Et l’homme et la femme sans nom sont morts, et leur amour
Est mort, et qui donc se souvient ? Qui ? Toi peut-être
Toi, triste, triste bruit de la pluie sur la pluie,
Ou vous, mon âme. Mais bientôt vous oublierez cela et le reste.

Quand venait l’hiver des faubourgs ; quand le chaland
Voyageait dans la brume de France, qu’il m’était doux,
Saint-Julien-le-Pauvre, de faire le tour

De ton jardin ! Je vivais dans la dissipation
La plus amère ; mais le cœur de la terre m’attirait
Déjà ; et je savais qu’il bat non sous la roseraie
Choyée, mais là où croît ma sœur ortie, obscure, délaissée.

Ainsi donc, si tu veux me plaire —après ! loin d’ici ! toi
Murmurant, ruisselant de fleurs ressuscitées, toi jardin
Où toute solitude aura un visage et un nom
Et sera une épouse,

Réserve au pied du mur moussu dont les lézardes
Montrent la ville Ariel dans les chastes vapeurs,
Pour mon amour amer un coin ami du froid et de la moisissure
Et du silence ; et quand la vierge au sein de Thumîm et d’Urîm

Me prendra par la main et me conduira là, que les tristes terrestres
Se ressouviennent, me reconnaissent, me saluent : le chardon et la haute
Ortie et l’ennemie d’enfance belladone.
 Eux, ils savent, ils savent.

(Adramandoni)
 
 
Los terrenos baldíos 

¿Cómo llegaste a mí, tú, tan humilde, tan doliente? Ya no lo sé.
Sin duda como el pensamiento de la muerte, con la vida misma.
Pero, de mi cenicienta Lituania a las gargantas infernales del Rummel,
De Bow-Street al Marais y de la infancia a la vejez,

Amo (como amo a los hombres, con un viejo amor
Gastado por la compasión, el enojo y la soledad) esos terrenos olvidados
Donde crece, muy despacio aquí y allí muy rápido,
Como los niños blancos en las calles sin sol, una hierba

De ciudad, fría y sucia, sin sueño, como la idea fija,
Traída por el viento del cementerio, quizás
En uno de esos bultos de tela negra, lisa y lustrosa, almohadas
De las viejas durmientes de los muelles, en los terribles ocasos.

De toda mi juventud consumida en el sur
Y en el norte, retuve esto sobre todo: mi alma
Está enferma, de paso, como la hierba sedienta de los muros,
Y la olvidaron, y la dejaron aquí.

Sé de uno al que da sombra un cedro del Líbano. Vestigio
De algún hermoso jardín del amor virginal. Y yo sé que el arbol santo
Fue plantado allí, antaño, en su tiempo justo, a fin
De dar testimonio; y el juramento cayó en la muda eternidad,

Y el hombre y la mujer sin nombre están muertos, y su amor
Está muerto, ¿y quién se acuerda acaso? ¿Quién? Tú, quizás,
Tú, triste, triste ruido de la lluvia sobre la lluvia,
O tú, alma mía. Pero pronto olvidarás eso y el resto.

Y ese otro donde el fuerte viento, la lluvia y la niebla tienen su iglesia.
Cuando llegaba el invierno de los suburbios; cuando la barcaza
Viajaba en la bruma de Francia, ¡qué grato me era,
San Julián el Pobre, pasearme

Por tu jardín! Yo vivía en la disipación
Más amarga; pero ya el corazón de la tierra
Me atraía; y yo sabía que late no debajo del rosal
Mimado, sino allí donde crece mi hermana la ortiga, obscura, abandonada.

Así pues, si quieres serme agradable —¡después! ¡lejos de aquí! Tú
Susurrante, desbordante de flores resucitadas, tú, jardín
En el que toda soledad tendrá un rostro y un nombre
Y será una esposa,

Reserva al pie del muro cubierto de musgo cuyas rajaduras
Dejan ver la ciudad Ariel en los castos vapores,
Para mi amor amargo un rincón amigo del frío y del moho
Y del silencio; y cuando la virgen de pechos de Tumím y de Urím

Me tome de la mano y me lleve allí, que los tristes terrestres
Recuerden otra vez, me reconozcan, me saluden: el cardo y la alta
Ortiga, y la enemiga de infancia belladona.
Ellos saben, saben.


Le pont 

 Les feuilles mortes tombent dans l’air dormant.
Vois, mon cœur, ce que l’automne a fait à ta chère île :
Comme elle est pâle !
Quelle orpheline au cœur tranquille !
Les cloches sonnent, sonnent à Saint-Louis-en-l’Isle
Pour le fuchsia mort de la patronne du chaland.

Tête basse, deux vieux chevaux très humbles, somnolents, prennent
leur dernier bain.
Un gros chien noir aboie et menace de loin.
Sur le pont, il n’y a que moi et mon enfant :
Robe fanée, faibles épaules, visage blanc,
Un bouquet dans les mains.

O mon enfant ! Ce temps qui vient !
Pour eux ! Pour nous ! O mon enfant !
 Ce temps qui vient !

(Adramandoni)


El puente

Las hojas secas caen en el aire dormido.
Mira, corazón mío, lo que el otoño le ha hecho a tu isla querida:
¡Qué pálida está! ¡Qué huérfana de corazón tranquilo!
Suenan las campanas, suenan en San Luis de la Isla
Para la fucsia muerta del ama de la barcaza.

Con la cabeza gacha dos viejos caballos muy humildes, soñolientos toman
su último baño.
Un perrazo negro ladra y amenaza de lejos.
En el puente sólo estamos yo y mi niña:
Vestido desteñido, hombros endebles, rostro blanco,
Un ramo de flores en las manos

¡Oh mi niña! ¡Ese tiempo que viene!
¡Para ellos! ¡Para nosotros! ¡Oh mi niña!
¡Ese tiempo que viene!



Traducción de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
(Traducciones publicadas por primera vez en EOM nº 37, noviembre de 2005)