miércoles, 13 de febrero de 2013

Valery Larbaud: Tres poemas



VŒUX DU POÈTE

(London)

Lorsque je serai mort depuis plusieurs années,
Et que dans le brouillard les cabs se heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas changées)
Puissé-je être une main fraîche sur quelque front !
Sur le front de quelqu’un qui chantonne en voiture
Au long de Brompton Road, Marylebone ou Holborn,
Et regarde en songeant à la littérature
Les hauts monuments noirs dans l’air épais et jaune.
Oui, puissé-je être la pensée obscure et douce
Qu’on porte avec secret dans le bruit des cités,
Le repos d’un instant dans le vent qui nous pousse,
Enfants perdus parmi la foire aux vanités ;
Et qu’on mette à mes débuts dans l’éternité,
L’ornement simple, à la Toussaint, d’un peu de mousse.



Deseos del poeta

(Londres)


Para cuando ya lleve muchos años de muerto,
y andando en la neblina se entrechoquen los taxis,
al igual que hoy (las cosas en nada habrán cambiado)
¡que pueda ser yo fresca mano sobre una frente!
sobre la frente de alguien que canturrea en su auto
a lo largo de Brompton Road, Holborn o Marylebone,
y contempla, pensando en la literatura,
los negros monumentos entre el aire amarillo.
Que pueda ser el suave y oscuro pensamiento
que se lleva en secreto por el bullicio urbano,
el breve alto en el viento que siempre nos empuja,
niños perdidos en ferias de vanidades;
y que el dos de noviembre simplemente engalanen
mi debut en lo eterno con un poco de musgo.



La Mort d’Atahuallpa

 “Pues el Atabalipa llorava y decia que no le matasen”

OVIEDO

O combien de fois j’ai pensé à ces larmes,
ces larmes du suprême Inca de l’empire ignoré
si longtemps, sur les hauts plateaux, aux bords lointains
du Pacifique — ces larmes, ces pauvres larmes
de ces gros yeux rouges suppliant Pizarre et Almagro.
J’y ai songé, tout enfant, lorsque je m’arrêtais
longtemps, dans une galerie sombre, à Lima,
devant ce tableau historique, officiel, terrifiant.
On y voit d’abord — belle étude de nu et d’expression- 
les femmes de l’Empereur américain, furieuses
de douleur, demandant qu’on les tue, et voici,
entouré du clergé en surplis et des croix
et des cierges allumés, non loin de Fray Vicente de Valverde,
Atahuallpa, couché sur l’appareil horrible
et inexplicable du garrot, avec son torse brun
nu, et son maigre visage vu de profil,
tandis qu’à ses côtés les Conquistadores
prient, fervents et farouches.
Cela fait partie de ces crimes étranges de l’Histoire.
Entouré de la majesté des Lois et des splendeurs de l’Église,
si prodigieux d’angoissante horreur,
qu’on ne peut pas croire qu’ils ne durent
quelque part, au delà du monde visible, éternellement;
et dans ce tableau même, peut-être, demeurent
toujours la même douleur, les mêmes prières, les mêmes larmes,
pareilles aux desseins mystérieux du Seigneur.
Et j’imagine volontiers, en cet instant
où j’écris seul, abandonné des dieux et des hommes,
dans un appartement complet du Sonora Palace Hôtel
(quartier de la Californie),
oui, j’imagine que quelque part dans cet hôtel,
dans une chambre éblouissante de lampes électriques,
silencieusement cette même terrible scène,
— Cette scène de l’histoire nationale péruvienne
Qu’on serine aux enfants, là-bas, dans nos écoles, —
s’accomplit exactement
comme, il y a quatre cents ans, à Caxamarca.

— Ah ! que quelqu’un n’aille pas se tromper de porte!



La muerte de Atahuallpa

 “Pues el Atabalipa llorava y decia que no le matasen”

OVIEDO

Cuántas veces he pensado en esas lágrimas,
esas lágrimas del supremo Inca del imperio ignorado
por tanto tiempo, sobre el altiplano, en las márgenes lejanas
del Pacífico —esas lágrimas, esas pobres lágrimas
de esos grandes ojos rojos suplicando a Pizarro y a Almagro.
En ello solía pensar cuando, de niño, me detenía largo tiempo
en una oscura galería, en Lima,
ante ese cuadro histórico, oficial, aterrador.
Se ve en primer lugar —bello estudio de desnudo y expresión-
a las mujeres del emperador americano, furiosas
de dolor, pidiendo que las maten, y aquí,
rodeado por el clero con sobrepellices, y de cruces
y cirios encendidos, no lejos de Fray Vicente de Valverde,
a Atahuallpa, tendido sobre el aparato horrible
e inexplicable del garrote, con su torso moreno
desnudo, y su rostro flaco visto de perfil,
mientras que a su lado los Conquistadores
rezan, fervientes y feroces.
Rodeado por la majestad de las Leyes y los esplendores de la Iglesia,
es uno de esos crímenes extraños de la Historia,
tan desbordantes de angustioso horror,
que no podemos creer que no sigan durando,
en alguna parte, más allá del mundo visible, eternamente;
y en este mismo cuadro, tal vez, perduren
siempre el mismo dolor, las mismas plegarias, las mismas lágrimas,
similares a los designios misteriosos del Señor.
E imagino sin esfuerzo, en este instante
en el que escribo solo, abandonado por los dioses y los hombres,
en un apartamento completo del Sonora Palace Hotel
(distrito de California),
sí, imagino que en alguna parte de este hotel,
en una habitación radiante de lámparas eléctricas,
silenciosamente, esa misma terrible escena
—esa escena de la historia nacional peruana
que machacamos a los niños, allá, en nuestras escuelas—,
se desarrolla exactamente
como hace cuatrocientos años en Caxamarca.

—¡Ay! ¡que alguien no vaya a equivocarse de puerta !


La rue Soufflot

(Paris)

Romance pour l'éventail de Madame MARIE LAURENCIN

Notre petite journée sera bientôt finie: les dernières
Années s'ouvrent devant nous comme ces rues;
Et le collège est toujours là, et cette place
Quadrillée, et la vieille église où nous avons vu
Entrer Verlaine mort. Au fond, malgré la mer
Et tant de courses, nous ne sommes jamais sorti
D'ici, et toute notre vie aura été
Un petit voyage en rond et en zigzag dans Paris.
Et même après, nous resterons encore ici,
Invisible, oublié, mais habitant toujours
La ville de l'enfance et du premier amour,
Avec l'étonnement des douze ans et de la rencontre,
Qui nous fait murmurer encore dans la foule:
“Porque sabes que siempre te he querido.”
Et un passant, qui m'a entendu, se retourne.



La rue Soufflot

(Paris)

Romanza para el abanico de Madame MARIE LAURENCIN

Nuestra breve jornada pronto habrá terminado: los últimos
años se abren ante nosotros como estas calles;
y el colegio sigue estando allí, y esta plaza
en cuadrículas, y la vieja iglesia en la que hemos visto
entrar muerto a Verlaine. En el fondo, a pesar del mar
y de tantos caminos, jamás hemos salido
de aquí, y toda nuestra vida habrá sido
un pequeño viaje en círculos y zigzags por París.
E incluso después, aquí nos quedaremos,
invisibles, olvidados, pero siempre habitando
la ciudad de la infancia y del primer amor,
con el asombro de los doce años y del encuentro,
que aún nos hace murmurar entre el gentío:
“Porque sabes que siempre te he querido.”
y un transeúnte, que me ha oído, se da vuelta.


viernes, 1 de febrero de 2013

Charles Baudelaire y Charles Méryon: El viejo París




Il y a quelques années, un homme puissant et singulier, un officier de marine, dit-on, avait commencé une série d’études à l’eau-forte d’après les points de vue les plus pittoresques de Paris. Par l’âpreté, la finesse et la certitude de son dessin, M. Meryon rappelait les vieux et excellents aquafortistes. J’ai rarement vu représentée avec plus de poésie la solennité naturelle d’une ville immense. Les majestés de la pierre accumulée, les clochers montrant du doigt le ciel, les obélisques de l’industrie vomissant contre le firmament leurs coalitions de fumée, les prodigieux échafaudages des monuments en réparation, appliquant sur le corps solide de l’architecture leur architecture à jour d’une beauté si paradoxale, le ciel tumultueux, chargé de colère et de rancune, la profondeur des perspectives augmentée par la pensée de tous les drames qui y sont contenus, aucun des éléments complexes dont se compose le douloureux et glorieux décor de la civilisation n’était oublié. Si Victor Hugo a vu ces excellentes estampes, il a dû être content ; il a retrouvé, dignement représentée, sa


Morne Isis, couverte d’un voile !

Araignée à l’immense toile,

Où se prennent les nations !

Fontaine d’urnes obsédée !

Mamelle sans cesse inondée,

Où, pour se nourrir de l’idée,

Viennent les générations !


Ville qu’un orage enveloppe !

Mais un démon cruel a touché le cerveau de M. Meryon ; un délire mystérieux a brouillé ces facultés qui semblaient aussi solides que brillantes. Sa gloire naissante et ses travaux ont été soudainement interrompus. Et depuis lors nous attendons toujours avec anxiété des nouvelles consolantes de ce singulier officier, qui était devenu en un jour un puissant artiste, et qui avait dit adieu aux solennelles aventures de l’Océan pour peindre la noire majesté de la plus inquiétante des capitales.


CHARLES BAUDELAIRE - Salon de 1859, Paysages.

Charles Méryon dibujado por Léopold Flameng (1858).

Hace algunos años, un hombre poderoso y singular, un oficial de marina, según se dice, comenzó una serie de estudios al aguafuerte de los lugares con vistas más pintorescas de París. Por la rudeza, el detalle y la seguridad de su dibujo, Charles Méryon recordaba a los viejos y excelentes aguafuertistas. Pocas veces he visto representada con más poesía la solemnidad natural de una ciudad inmensa. La majestuosidad de las piedras acumuladas, los campanarios que señalan el cielo con el dedo, los obeliscos de la industria que vomitan contra el firmamento sus coaliciones de humo, los prodigiosos andamiajes de los monumentos en reparación, que aplican sobre el cuerpo sólido de la arquitectura su arquitectura calada de una belleza tan paradójica, el cielo tumultuoso, cargado de cólera y rencor, la profundidad de las perspectivas incrementada por el pensamiento de todos los dramas que ellas contienen; ninguno de los elementos complejos de los que se compone el doliente y glorioso decorado de la civilización fue olvidado. Si Víctor Hugo ha visto esas excelentes estampas, debe de haberse sentido contento; encontró en ellas, dignamente representada, su


¡Triste Isis, cubierta por un velo!

¡Araña de inmensa tela

Que atrapa a las naciones!

¡Fuente colmada de urnas!

¡Senos sin cesar inundados

A los que, para nutrirse con la idea,

Van las generaciones!


¡Ciudad a la que una tormenta envuelve!



Pero un demonio cruel ha tocado el cerebro de Charles Méryon; un delirio misterioso ha turbado esas facultades que parecían tan sólidas como brillantes. Su gloria naciente y sus trabajos han quedado súbitamente interrumpidos. Y, desde entonces, seguimos esperando con ansiedad algunas noticias consoladoras de ese singular marino que se había transformado de un día para el otro en un poderoso artista, y que se había despedido de las solemnes aventuras del Océano para pintar la sombría majestad de la más inquietante de las capitales.

Traducción para Literatura & Traducciones de Miguel Ángel Frontán.


















Este post está especialmente dedicado a la Sra. Noriko Ito.
Agradecemos al imprescindible Internet Archive por el estupendo escaneado de estos grabados.