À CATHERINE POZZI
21 août 1924
Château de Muzot s/Sierre
Chère et honorable amie,
Les expériences les plus
essentielles de ma vie convergent toutes pour me faire reconnaître la mort
comme une autre partie de cette trajectoire dont nous suivons la courbe
vertigineuse sans pouvoir faire halte un seul instant. Je me sens de plus en
plus incité, pour le moment, à être en harmonie avec ce Tout où la vie et la
mort se pénètrent et s’unissent, inlassablement. L’Ange dont j’affirme la
présence (L’Ange qui dit oui), offre un visage radieux à la mort. Bien que la
vie demande bien autre chose, c’est la mort, par-dessus tout, la mort
elle-même, sur laquelle pèsent tant de suspicions, que j’aimerais réhabiliter
en la replaçant au centre de tout, un lieu qu’elle n’a jamais quitté mais
duquel nous avons détourné notre regard. Je sens que c’est ma mission de
démontrer que c’est l’un des plus grands trésors de ce formidable Tout dans
lequel la vie n’a peut-être que la plus petite part, même si elle est déjà si
riche en elle-même qu’elle nous est inaccessible, hors d’atteinte.
(La
dernière lettre de Rilke, neuf jours avant sa mort.)
À JULES SUPERVIELLE
Clinique de Valmont s/Territet. p.
Glion (Vaud),
ce 21 décembre 1926
Mon cher cher Supervielle,
Gravement malade,
douloureusement, misérablement, humblement malade, je me retrouve un instant
dans la douce conscience d’avoir pu être rejoint, même là, sur ce plan
insituable et si peu humain, par votre envoi et par toutes les influences qu’il
m’apporte.
Je pense à vous, poète, ami
et, faisant cela, je pense encore le monde, pauvre débris d’un vase qui se
souvient d’être de la terre. (Mais cet abus de nos sens et de leur
“dictionnaire” par la douleur qui le feuillette !)
R.
21 de agosto de 1924
Castillo de Muzot en Sierre
Querida y digna amiga,
Las experiencias más
esenciales de mi vida convergen, todas, para hacerme reconocer la muerte como
una parte más de esta trayectoria cuya vertiginosa curva seguimos sin poder
detenernos un solo instante. Me siento cada vez más incitado, por el momento, a
estar en armonía con ese Todo en que la vida y la muerte se interpenetran y se
unen, incansablemente. El Ángel cuya presencia afirmo (el Ángel que dice sí), le
muestra un rostro radiante a la muerte. Aunque la vida exige algo muy diferente,
es la muerte, en primer lugar, la muerte misma, que nos inspira tantas
sospechas, la que quisiera rehabilitar volviéndola a poner en el centro de
todo, un lugar que nunca ha abandonado pero del que hemos apartado la mirada.
Siento que mi misión consiste en demostrar que es uno de los mayores tesoros de
ese formidable Todo en el que la vida quizás posea tan sólo la parte más
pequeña, aunque ya sea tan rica en sí misma que nos resulta inaccesible, fuera
de alcance.
(Última carta de Rilke, nueve días antes de su muerte.)
Clínica de Valmont enTerritet, en
las cercanías de Glion (Vaud),
este 21 de diciembre de 1926.
Mi querido Supervielle,
Gravemente enfermo,
dolorosa, miserable, humildemente enfermo, vuelvo a ser yo mismo por un momento
gracias a la dulce conciencia de que me hayan podido llegar, incluso aquí, en
este plano imposible de situar y tan poco humano, su carta y todas las
influencias que me trae.
Pienso en usted,
poeta, amigo, y, al hacerlo, pienso nuevamente en el mundo, pobre fragmento de
un jarrón que recuerda que está hecho de tierra. (¡Pero este abuso de nuestros
sentidos y de su «diccionario» por parte del dolor que lo hojea!)




