jueves, 22 de mayo de 2025

Victor Hugo y Vicente Wenceslao Querol: La conciencia

LA CONSCIENCE

 

Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,

Echevelé, livide au milieu des tempêtes,

Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,

Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva

Au bas d’une montagne en une grande plaine ;

Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine

Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »

Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.

Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,

Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,

Et qui le regardait dans l’ombre fixement.

« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.

Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,

Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.

Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.

Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,

Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,

Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève

Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.

« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.

Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »

Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes

L’œil à la même place au fond de l’horizon.

Alors il tressaillit en proie au noir frisson.

« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,

Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.

Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont

Sous des tentes de poil dans le désert profond :

« Etends de ce côté la toile de la tente. »

Et l’on développa la muraille flottante ;

Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :

« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,

La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;

Et Caïn répondit : « je vois cet œil encore ! »

Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs

Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,

Cria : « je saurai bien construire une barrière. »

Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.

Et Caïn dit « Cet œil me regarde toujours ! »

Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours

Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.

Bâtissons une ville avec sa citadelle,

Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »

Alors Tubalcaïn, père des forgerons,

Construisit une ville énorme et surhumaine.

Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,

Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;

Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;

Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.

Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,

On lia chaque bloc avec des nœuds de fer,

Et la ville semblait une ville d’enfer ;

L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;

Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;

Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »

Quand ils eurent fini de clore et de murer,

On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;

Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !

L’œil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.

Et Caïn répondit :  » Non, il est toujours là. »

Alors il dit: « je veux habiter sous la terre

Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;

Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »

On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »

Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.

Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre

Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

 VICTOR HUGO

LA CONCIENCIA

 

Cuando huyó la presencia

De Dios Caín, cercado de sus hijos

Que ciñen toscas pieles,

Lívido y azorado, la violencia

De la tormenta le azotó, y crueles

Penas sintiendo, el hombre de la oscura

Sombra, llegó cuando la tarde muere

Al pie de un monte en medio a una llanura.

Sin aliento sus hijos, fatigada

Su esposa fiel, dijéronle: — Durmamos

Aquí tendidos en la tierra helada—

Y él, desvelado, al pie del negro monte,

La frente alzó y abierto

Vio en las nieblas del fúnebre horizonte

Ojo de fuego en su mirada fijo.

—¡Harto cerca estoy!—dijo

A su familia despertó temblando,

Y huyó a través de soledades frías,

Siniestro, treinta días

Y treinta noches, pálido, en silencio,

Estremecido al eco de la selva,

Sin descanso , sin sueño, sin camino,

Sin que a su espalda la mirada vuelva;

Hasta que al fin a las riberas vino

De la tierra de Asur junto a los mares.

—Parad, dijo; yo aquí hallaré profundo

Descanso a mis azares.

Hemos llegado al límite del mundo—

Y cuando se sentaba,

Vio en el cielo sombrío

El mismo ojo fatal que le miraba.

Sintió en sus venas el espanto frío:

—¡Ocultadme!  — clamó con loco anhelo,

Y  el dedo puesto sobre e! labio, el hijo

Vio cual temblaba su feroz abuelo.

Caín dijo a Jabel, padre de aquellos

Que lentos siguen la variable senda

Que en el desierto trazan los camellos,

—Corre hacia aquí los lienzos de tu tienda—

Y ellos corrieron el flotante muro

Fijo con plomos, que a su padre esconda.

—¿No veis ya nada? —Dijole Tisila,

La nieta, bella cual la aurora, y blonda,

Y respondió Caín —Ese ojo aún veo.

Jubal, padre de aquellos que levantan

De trompas y atambores clamoreo,

—Yo una barrera elevaré— le dijo;

Y alzó un muro de bronce, y él oculto

—Siempre ese ojo— exclamó—, tengo en mí fijo.

Y Hanoch entonces —Fórmese de torres

Recinto tal, que aproximarse impida.

Una ciudad con ciudadela extensa,

Cerrándose con puertas la salida.

Tubalcaín la edificaba inmensa,

Mientras que por los llanos

De Seth y Enós los hijos, perseguidos

Eran con rabia audaz por sus hermanos.

Arrancaban los ojos al viajero;

Y por la tarde altivo a las estrellas

Arrojaba sus dardos el guerrero.

Al débil lienzo reemplazó el granito,

El hierro ató la piedra, y del infierno

Pareció la ciudad, cuyo circuito

Daba nocturna sombra a la campaña.

Dio a todo el espesor de una montana

Y grabose en las puertas: —Se prohíbe

A Dios entrar.—Cuando acabose el muro

El padre fue encerrado

De negra torre en el recinto oscuro;

Do lúgubre, aterrado;

Permaneció. Y Tisila

— ¿Depareció ya el ojo, abuelo mió?

Le pregunta, y contesta: —Su pupila

Aún me contempla con fulgor sombrío—.

Y añadió : — Bajo tierra

Quiero habitar. Como en sepulcro helado,

De nadie visto, mísero , me encierra—.

Y fue un hoyo profundo fabricado.

—Bien está—dijo,y descendió en la sombra,

Sentose y, ya cerrado,

¡Aun allí el ojo vengador le asombra!

VICENTE WENCESLAO QUEROL